LATITUDES

Les hôpitaux face à leur impact carbone

Gestion des déchets et économie d’énergie: les hôpitaux s’engagent dans le développement durable, mais se heurtent à la primauté de l’hygiène.

Face à l’urgence climatique, les secteurs traditionnellement polluants comme l’aviation ou l’automobile s’intéressent désormais à l’écologie. Les hôpitaux s’inscrivent aussi dans cette tendance. Ils tentent de diminuer leur impact carbone, qui représente 4,4% des émissions mondiales, soit en termes absolus davantage que les émissions du Brésil, selon une étude de l’ONG Health Care without Harm. En Suisse, le système de santé est en effet le 4e plus gros consommateur de ressources environnementales, après l’alimentation, la mobilité et le logement, selon l’étude «Green Hospital», menée en 2017 sous l’impulsion du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS).

«Les hôpitaux peuvent avoir un impact très important, mais ne semblent pas en avoir pleinement pris conscience, appuie le Prof. Renaud Du Pasquier, chef du Service de neurologie au CHUV. Les infirmiers et les médecins sont en première ligne pour constater directement les effets croissants du réchauffement climatique sur la santé. Ils ont ainsi un devoir d’exemplarité.» En Suisse, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont été en 2009 le premier établissement européen à réaliser un écobilan. Depuis, ils appliquent de nombreuses mesures de développement durable.

À Berne, l’hôpital cantonal rénove aujourd’hui ses bâtiments en adéquation avec les nouvelles exigences de construction. Le CHUV travaille aussi à la diminution de son impact carbone et a déjà adopté plusieurs mesures en ce sens. En 2019, il a notamment remplacé la vaisselle jetable de ses restaurants du personnel par des contenants réutilisables. La mesure doit permettre d’économiser 4,4 tonnes de déchets par année, alors qu’en 2018 100’000 barquettes et couverts en plastique ainsi que 80’000 bols en polystyrène avaient été distribués pour les plats à emporter.

Mais ce n’est qu’un début : avec ses 12’000 collaborateurs, le CHUV consomme autant qu’une petite ville. Quelque 11 tonnes de linge et 5’500 vêtements sont utilisés chaque jour, et l’hôpital produit plus de 4’100 tonnes de déchets par année. Les déchets ménagers comme le papier et le plastique de bureau peuvent être recyclés, mais ce n’est pas le cas des déchets médicaux. En Suisse, presque 16’000 tonnes de déchets médicaux (comme des pansements, seringues ou médicaments) sont traitées sur le territoire national et 115 tonnes à l’étranger. Selon les données de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), environ 99,5% de ces déchets médicaux sont incinérés. De nouvelles solutions apparaissent, comme la stérilisation du matériel médical à ultra-haute température, qui vise à rendre les déchets inertes en leur ôtant tout résidu potentiellement pathogène. Si ces techniques coûteuses sont encore en cours d’évaluation, elles commencent à trouver leur place dans les hôpitaux.

Une neutralité carbone difficile

«La pratique médicale se heurte aux soucis d’hygiénisme actuels, ce qui aboutit à du gaspillage d’outils jetables, explique le Prof. Christophe Büla, chef du Service de gériatrie au CHUV. Cette mentalité révèle les paradoxes d’une société qui veut minimiser son impact écologique, mais qui n’est pas prête à faire des concessions sur la santé.»

Au niveau alimentaire, le CHUV produit 2,2 millions de repas par année, dont la moitié est destinée aux patients et le reste aux collaborateurs. Chaque jour, près des deux tiers des déchets alimentaires viennent des patients. «Le repas est une prescription médicale qui doit être apportée au patient et dont nous ne pouvons changer la composition nutritionnelle, explique Pierre-Yves Müller, directeur du département de la logistique hospitalière au CHUV. Mais une fois servi au lit du patient, le plateau présente un risque de contamination.
Nous sommes donc obligés de jeter systématiquement ce qui n’a pas été consommé afin d’écarter tout risque sanitaire.» Il y a vingt ans, les aliments non consommés des patients étaient donnés aux cochons d’une ferme voisine, raconte le Prof. Büla. «Ces pratiques ont été stoppées pour donner la primauté à l’hygiène, même si elles constituaient une bonne méthode de recyclage.»

Dans les laboratoires, le plastique est aussi omniprésent. «Malheureusement, aujourd’hui nous n’avons pas d’alternatives viables et sécurisées, explique le Prof. Du Pasquier. Par exemple, revenir au verre augmenterait les risques de blessures et de contamination.»

«Les unités de soins aigus sont particulièrement concernées par les questions d’écologie, puisqu’elles nécessitent énormément de matériel, de personnel, et des outils complexes qui consomment beaucoup d’énergie à l’instar des IRM, des scanners ou des appareils de radiothérapie», explique Pierre-Yves Müller. «C’est pourquoi il est nécessaire de sensibiliser les membres du personnel de santé afin qu’ils privilégient les alternatives de traitement les moins polluantes», recommande Éric Albrecht, médecin adjoint du Service d’anesthésiologie du CHUV. Des médicaments aux effets similaires peuvent notamment être plus ou moins polluants, comme dans le cas des gaz anesthésiants (voir l’encadré).

Labellisation verte

Des labels émergent pour saluer les efforts entrepris par les hôpitaux pour limiter leur impact carbone. En France, par exemple, la certification « haute qualité environnementale », attribuée par l’association éponyme et validée par le Ministère de la santé, évalue les hôpitaux volontaires sur leurs performances d’éco-construction, d’écogestion, de confort ainsi que sur la qualité de l’air et de l’eau.

«L’instauration d’un label européen contrôlé permettrait de valoriser les efforts pris en matière de réduction d’impact carbone en évitant les suspicions de greenwashing (i.e. : utiliser l’écologie dans le seul but d’améliorer son image), ajoute Pierre-Yves Müller. Par contre, l’activité hospitalière telle qu’on la connaît aujourd’hui ne peut pas être neutre au niveau carbone. On peut néanmoins rationaliser au maximum les consommations et réfléchir à des solutions plus écologiques dès qu’un renouvellement de matériel est nécessaire ou qu’un nouveau bâtiment est construit. Le nouvel hôpital des enfants prévu pour 2022 est d’ailleurs conçu en adéquation avec les normes écoresponsables du label Minergie.» /

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L’atmosphère sous anesthésie générale

La pollution s’invite au bloc opératoire. Les gaz utilisés pour les anesthésies générales se révèlent extrêmement polluants, détruisant la couche d’ozone et augmentant l’effet de serre. Aujourd’hui, ces gaz sont évacués tels quels des blocs opératoires à l’extérieur du bâtiment. Ainsi, une heure d’anesthésie avec du desflurane, le gaz le plus polluant du marché, produit autant de CO2 qu’un trajet de 400 km en voiture, selon une étude publiée en 2017 dans la revue scientifique médicale The Lancet.

«Environ 3 millions de tonnes de dioxyde de carbone sont émis annuellement dans l’atmosphère à cause des gaz anesthésiques, soit près de 3% des émissions globales, explique Éric Albrecht, médecin adjoint du Service d’anesthésiologie du CHUV. Je pense qu’il faudrait favoriser les anesthésies locorégionales, qui désensibilisent seulement une zone du corps et qui ne nécessitent pas de gaz, mais surtout informer et rassurer les patients quant à ces anesthésies, moins dangereuses et tout aussi efficaces que celles générales.»

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Cinq exemples de mesures pour réduire l’impact carbone d’un hôpital

Améliorer la gestion des déchets: Les déchets ménagers et alimentaires doivent être recyclés autant que possible. Les hôpitaux essaient également de trouver de nouvelles solutions pour traiter les déchets médicaux aujourd’hui incinérés.

Privilégier une médecine moins polluante: Dans sa pratique quotidienne, le corps hospitalier peut favoriser les médicaments et les anesthésiants les moins polluants.

Repenser les transports: Les hôpitaux réunissant un grand nombre de collaborateurs, les inciter à délaisser leur voiture en faveur des transports publics ou du vélo peut entraîner une forte réduction de leur impact carbone.

Diminuer la facture énergétique: Choisir des ampoules LED, installer des panneaux solaires, rénover les infrastructures, les hôpitaux peuvent privilégier des solutions écologiques en réduisant leur facture énergétique.

Consommer local: Les hôpitaux peuvent choisir de s’approvisionner localement pour la confection des plateaux-repas, réduisant ainsi la pollution liée au transport de marchandises.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 21).

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