Aux beaux jours de la nouvelle économie, les journaux offraient leurs articles gracieusement sur le réseau. Ils passent maintenant au payant. Enquête.
Fini le temps où quelques clics de souris suffisaient pour feuilleter les journaux du monde entier. Le libre accès à l’information en ligne n’est plus d’actualité.
Les éditeurs sont las d’offrir un service qui coûte et ne rapporte rien. Aux beaux jours de la nouvelle économie, ils ont cru possible de financer leurs sites grâce à la seule publicité. Tous ont fait le même constat: ça ne marche pas. Ils s’emploient maintenant à corriger le tir.
A Genève, le quotidien Le Temps prépare des changements pour l’automne. Actuellement, tous les articles signés par des journalistes sont offerts gratuitement sur le site pendant une semaine. A l’avenir, on n’y trouvera plus qu’un sujet par rubrique.
Une politique similaire à celle de son actionnaire français Le Monde. L’offre gratuite du Temps va passer d’une cinquantaine d’articles par jour à une dizaine. Pour le reste, il faudra s’abonner
«Même en 2000, une année record en rentrées publicitaires, nous n’avons pas réussi à couvrir complètement les frais de l’édition en ligne. Pour qu’internet soit rentable, il faut que l’utilisateur paye pour accéder au contenu», dit Valérie Boagno, directrice commerciale du Temps. Dans cette optique, les Suisses de l’étranger qui lisent le journal sur le réseau constituent une source de revenus encore à exploiter.
Les archives du Temps antérieures à une semaine sont déjà payantes. Et malgré plusieurs centaines de consultations par hebdomadaires, ce service ne rapporte que peu d’argent.
Bref, même si le site du Temps est toujours resté raisonnable en matière de dépenses («une solution bricolée», selon les mots de Valérie Boagno), il demeure déficitaire. La direction s’en accommode car elle le considère comme un investissement en terme d’image. Avec un coût comparable à celui d’une campagne du pub.
Chez Edipresse (qui édite Le Matin, la Tribune de Genève, 24 Heures, Bilan), la plus grande partie des articles diffusés sur le réseau doit devenir payante avec le lancement de nouvelles pages pour chacun des titres. Le nouveau site du Matin et une banque d’archives remodelée seront sans doute lancés d’ici à la fin de l’année.
D’autres prestations, comme la vente d’articles à l’unité ou des newsletters, vont être introduites. Il s’agit de valoriser le contenu des journaux en informant les clients sur des thèmes sélectionnés – la santé ou l’automobile – sous la forme qui leur convient.
Appelé à disparaître, le site Edicom.ch a été le premier portail de Suisse romande. «Le défi sera de conserver le trafic d’Edicom en le redirigeant vers les sites des journaux », commente Christophe Rasch, chef des nouveaux médias et services chez Edipresse.
Du côté de Ringier Romandie, le Webdo n’est plus qu’une enveloppe commune pour les magazines du groupe. L’administration des sites est passée dans le giron de chacun des titres. L’Hebdo y a associé un poste à plein temps. Largeur.com gère le site de Dimanche.ch. L’Illustré a confié cette responsabilité au responsable photo.
Par le passé, L’Hebdo a mis jusqu’à 40% de son contenu en libre-accès sur le web. Depuis cet été, il n’en propose plus qu’un échantillon, avec seulement un extrait de l’article de première page durant la semaine de parution. Objectif: ne pas pénaliser les ventes au numéro.
A terme, l’accès au magazine sur internet sera réservé aux seuls abonnés. Stratégie: utiliser le site comme un instrument de fidélisation. Avec un libre-accès qui sert de vitrine.
«Nous avions espéré que le Webdo joue un rôle fédérateur entre les magazines. Mais dans les faits, l’internaute qui lit l’Hebdo en ligne n’ira pas surfer du côté de l’Illustré», constate Philippe Faehndrich, responsable internet chez Ringier Romandie.
Toujours chez Ringier, le contenu en libre-accès des SonntagsBlick et Blick a fondu ces derniers mois. «Et il y en a encore trop à mon goût», lâche Fridolin Luchsinger, porte-parole du groupe à Zurich. La direction a rendez-vous en octobre pour redéfinir la politique internet. Ringier est le dernier éditeur suisse qui offre gracieusement ses archives aux internautes. Cela ne devrait plus durer très longtemps.
Pourtant, les sites financés par les annonceurs, certains y croient encore. Les éditeurs Neue Zurcher Zeitung (NZZ) et Tamedia (Tages-Anzeiger) luttent pour remporter le marché alémanique. Les deux entreprises emploient chacune une douzaine de personnes qui travaillent uniquement pour internet.
«A terme, la publicité va se concentrer sur quelques sites. Comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis», estime Wolfgang Frei, responsable des nouveaux médias pour le groupe NZZ.
Chez Tamedia, Marcel Sennhauser, responsable des activités en ligne, se plaint de la concurrence de Swissinfo. «Ils offrent un service d’information en neuf langues. C’est qu’ils n’ont pas l’impératif de la rentabilité.»
En effet, Swissinfo.org est une unité de SRG SSR idée suisse, l’audiovisuel public. Le financement du site étant assuré par la Confédération, le contenu reste gratuit.
Mais pour lire les journaux alémaniques, il faudra payer. Sur le modèle anglo-saxon (New York Times, Wall Street Journal, Financial Times) et aussi allemand (Frankfurter Allgemeine Zeitung), la NZZ et son édition dominicale seront bientôt disponibles en format pdf contre abonnement. Le lancement est prévu pour 2003.
Chez Tamedia, le Tages-Anzeiger en ligne est déjà payant. La SonntagsZeitung va le devenir en cette fin d’année.
Pour les nostalgiques d’une époque révolue, il reste tout de même quelques quotidiens en libre-accès: l’allemand Die Zeit, les britanniques The Times et The Guardian, le français Libération.
Et les archives du Guardian sont encore entièrement gratuites.
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Cet article a été corrigé le 23 août 2002 à 10h. Une version précédente laissait entendre que le site Edicom était toujours le premier portail de Suisse romande. Avec nos excuses.