LATITUDES

Les arbitres ont été piégés par le «New Scientist»

Sale temps pour les hommes en noir: des scientifiques britanniques viennent de démontrer que les arbitres se laissent influencer par la foule.

A la surprise générale, les deux pays coorganisateurs du Mondial se sont qualifiés pour les huitièmes de finale. Japonais et Coréens doivent-ils une partie de leur succès à leurs supporters ?

Avant de siffler le match Corée du Sud-Etats-Unis, Urs Meier, l’unique arbitre suisse de la compétition, affirmait que le match qui impliquait un pays organisateur n’allait en rien provoquer un comportement différent de sa part. Une réponse bien péremptoire. L’homme en noir peut-il vraiment faire abstractions des réactions de milliers de supporters?

Une étude publiée en mai dans le «New Scientist» vient confirmer une conviction partagée par les fans de foot : l’avantage pour une équipe de jouer à domicile. Parmi les facteurs explicatifs, l’attitude des arbitres joue un rôle clé. Supposés stoïques et impartiaux, ces messieurs sont en fait assez influençables.

Alan Nevill, psychologue du sport à l’Université britannique de Wolverhampton, a soumis des vidéos comportant des scènes de tacles à des arbitres qualifiés. A eux de juger ensuite si oui ou non il y avait faute.

Les quarante arbitres étaient divisés en deux groupes: l’un entendait les réactions du public alors que l’autre visionnait sans son. Les premiers se sont montrés plus réticents à pénaliser l’équipe d’accueil que leurs collègues «sourds» qui n’ont pas hésité à sanctionner 15% de tacles de plus pour les locaux.

Alan Nevill est convaincu que même les arbitres les plus expérimentés ne peuvent échapper à la pression d’une foule déchaînée et peuvent être «dupés». «Pour éloigner les foudres du public, ils laissent jouer», diagnostique le chercheur anglais, qui conclut en relevant que des sports plus calmes, comme le golf, échappent à ce phénomène.

Si le résultat de cette étude ne m’étonne pas vraiment, j’ai en revanche beaucoup de peine à comprendre ce qui peut motiver des individus à revêtir le maillot sur lequel tout le monde tape à bras raccourcis. Les arbitres sont-ils tous des adeptes du sadomasochisme? Une prochaine recherche nous révélera peut être un jour leur profil psychologique, à coup sûr hors norme.

Le témoignage unique d’un écrivain-arbitre tente de cerner le charme insoupçonné de ce rôle de garant des règles et de l’autorité. Yves Laplace a réuni ses chroniques publiées dans le «Temps» dans «L’usage du football» (éditions Minizoé). Sous sa plume d’écrivain, c’est l’arbitre qui s’exprime: «L’arbitre exerce une sorte de jurisprudence en acte, mais il ne saurait commenter ni justifier ses décisions. Il en porte seul le poids. Il est tenu d’avoir raison, même s’il se trompe. Cela fait le charme de la fonction et ce charme est, précisément, un arbitraire.»

Dans un post-scriptum, l’écrivain romand se souvient d’un certain 22 mai 1997. Ce jour-là, «L’Evénement du Jeudi», sous le titre «Dehors l’arbitre!», publie en couverture un photomontage représentant Jean-Marie Le Pen en arbitre de football. Stupéfait, devant l’étalage du kiosque, Yves Laplace s’aperçoit que son image a servi d’homme-tronc au chef du Front National. «Je reconnais chaque pli de ma chemise noire d’arbitre.»

La photo originale avait été publiée dans les pages Culture de l’hebdomadaire lors de la parution d’un de ses livres.

Cinq ans plus tard, le journal français a disparu de la scène médiatique et l’équipe de France du cirque mondial. Ne reste que l’arbitre que les électeurs ont bien voulu se donner!