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Un thé à la menthe dans une colonie juive

«Aujourd’hui, nous sommes complètement encerclés», dit cette habitante palestinienne de Pisgat Zev. Elle m’a invitée chez elle, dans l’une des deux dernières maisons arabes du quartier. Chronique de Jérusalem.

On la repère facilement. C’est la seule maison à ne pas avoir d’accès goudronné à la rue. Son toit n’est pas recouvert de tuiles rouges et elle n’a qu’un étage. Un petit lopin de terre lui est attaché, laissé à l’abandon, où jouent des grappes d’enfants.

Autour de la maison, des centaines d’immeubles résidentiels, tous identiques, alignés les uns contre les autres comme une armée, avec ce toit rouge devenu une sorte d’emblème pour les colonies juives. Chaque petit périmètre non encore bâti est occupé par une grue de chantier.

Nous sommes à Pisgat Zev. «Un quartier israélien dans une partie disputée de Jérusalem», comme dit CNN. «Une colonie dans une secteur occupé», affirment d’autres. Et nous sommes sur la terrasse de l’une des deux dernières maisons arabes du quartier.

Muchi et sa belle-sœur Nadia m’accueillent avec un thé à la menthe alors que leurs maris sont encore au travail, «chez les Israéliens». La porte d’entrée est surmontée d’un petit fronton sur lequel a été peint le Dôme du Rocher, symbole doré de la Jérusalem musulmane.

«Avant, il n’y avait rien là autour. Juste de la terre et des animaux», commente Muchi. «Des couleuvres, des scorpions et des grands cailloux, ajoute Nadia. Ils ont commencé à construire en 1985. Aujourd’hui, nous sommes complètement encerclés.»

Régulièrement, les Israéliens viennent leur rendre visite et proposent de leur acheter la maison. Mais la famille de Muchi et Nadia a toujours refusé. «Un jour, ils sont venus avec un chèque en blanc, raconte Muchi. C’était à nous d’y ajouter les zéros. Mais non, on reste ici. C’est chez nous.»

Une autre fois, les Israéliens leur ont proposé de détruire la maison pour en construire une plus grande et plus haute, gratuitement, avec la promesse de les y reloger… avec des nouveaux voisins juifs. Ils ont refusé.

La population juive de Jérusalem-est est passée de zéro en 1967 à plus de 50% aujourd’hui. Le grand mufti de la ville trois fois sainte a averti: «Vendre du terrain arabe aux juifs est un crime.»

Mais Muchi se veut conciliante, sa force le lui permet. «Vous savez, ils ne sont pas tous les mêmes, les juifs. Certains sont gentils. Plusieurs de nos voisins venaient prendre le thé chez nous, avant. Mais plus maintenant.»

«Avant», c’était avant l’intifada.

Aujourd’hui, Muchi évite d’aller acheter du lait chez eux, même si leurs magasins sont installés à vingt mètres de sa maison. «Je vais à Beit Hanina ou à Ram (deux quartiers arabes à quelques kilomètres, ndlr) et j’essaie de ne rien oublier pour ne pas devoir envoyer mon fils dans leur épicerie.»

Une fois, Muchi a reçu des pierres. «Bien sûr que j’ai peur, mais eux aussi, ils ont peur de nous. D’ailleurs, ils viennent de déplacer l’arrêt d’autobus qui était presque devant notre porte.»

Elle ne s’énerve pas davantage quand elle raconte ce qui lui est arrivé la semaine dernière, alors qu’elle était allée voir de la famille dans un village voisin. «J’étais avec trois de mes enfants, dont celui-là, dit-elle en montrant le bébé de six mois qu’elle tient dans ses bras. Ils n’ont pas voulu me laisser passer au barrage. Les soldats ne me croyaient pas quand je leur disais que j’habite ici!» Muchi a fini par faire un détour qui lui a «bien pris trois ou quatre heures à pied» pour arriver chez elle à la tombée de la nuit.

Les jours d’attentats, son mari est ramené en voiture par son patron. Et le plus rapidement possible: «Quand on est Arabe, ces jours-là, il vaut mieux ne pas trop traîner dans des quartiers juifs.»

Même si aujourd’hui, du moins à cette heure de la matinée, il n’y a eu ni attentat ni incursion dans les territoires, ni bombardement à Ramallah, Nadia et Muchi ne cessent de scruter les alentours de leur maison. Elles sont sur le qui-vive: «Celui-là, on le connaît, il est gentil. Et celui-ci, vous le voyez qui nous regarde? Eh bien je m’en méfierais. » Des camions militaires défilent sous leur nez et la police ne cesse de faire des rondes de sécurité.

Sur la route en direction de Jérusalem, celle qu’empruntent quotidiennement les colons de Pisgat Zeev, une banderole en hébreu: «La seule solution, c’est le transfert.» Le transfert de Muchi, de Nadia et de tous les Arabes de Palestine.