Après 222 ans de succès éditorial, le quotidien zurichois doit forcément réussir sa conquête du marché dominical. Pour l’honneur.
Cela ressemble à un conte de fée publicitaire. Pour sa première édition datée du dimanche 17 mars, la Neue Zürcher Zeitung am Sonntag a dû refuser des annonceurs. Et l’espace de pub disponible pour les quatre numéros suivants était déjà pratiquement vendu avant même que le nouveau produit ne soit lancé.
Il y a apparemment encore un potentiel de lecteurs à conquérir outre-Sarine, puisque les Alémaniques sont seulement 40% à feuilleter un journal dominical, contre 55% de Romands qui lisent principalement Le Matin Dimanche (215’000 exemplaires, Edipresse) et aussi Dimanche.ch (45’000 exemplaires, Ringier).
D’une façon générale, «la création de titres dominicaux est actuellement une tendance à l’échelle européenne», relève Peter Hartmeier, porte-parole du groupe du Tages Anzeiger, Tamedia.
Les quatre premiers numéros de la NZZ am Sonntag ont été tirés à 260’000 exemplaires et accompagnés d’une campagne de lancement aux slogans éloquents: «Papier valeur», «Noblesse oblige», ou «Les pages intelligentes du dimanche» (merci pour les autres!).
Aucun complexe à jouer la carte de l’élitisme, sachant que, d’ores et déjà, quelque 60% des lecteurs de la NZZ sont titulaires d’une maturité, et qu’une majorité d’entre eux dispose d’un revenu très supérieur à la moyenne.
Dans le même segment de clientèle, la SonntagsZeitung (Tamedia) tire quant à elle à 221’000 exemplaires, tandis que le SonntagsBlick (Ringier), qui ratisse plus large, affiche un tirage de 336’000.
La NZZ am Sonntag vise à terme un équilibre à 150’000 exemplaires. Un chiffre qui n’a rien d’extravagant puisque les abonnés de la NZZ sont déjà 160’000, qui recevront l’édition dominicale gratuitement jusqu’à la fin de l’année. L’heure de vérité sera donc pour début 2003.
Pour l’heure, la NZZ am Sonntag jouit d’emblée d’un formidable capital puisqu’il ne s’agit pas d’un titre créé de toutes pièces mais du dernier rejeton du plus vieux quotidien d’Europe, et que par ailleurs, cette institution austère et donneuse de leçon surnommée «la vieille tante» par les Alémaniques, ne s’est jamais aussi bien portée.
Avec un tirage de 169’000 exemplaires, l’édition de semaine de la NZZ fait moins que le Tages-Anzeiger (250’000 exemplaires) et le Blick (309’000 exemplaires), mais, dans son créneau, le même que le quotidien romand Le Temps (53’000 exemplaires), elle tient le haut du pavé.
Son tirage a progressé de 44% ces vingt dernières années, en dépit d’une maquette qui rappelle le XIXe siècle. «Cet anachronisme nous sert, commente Max Frenkel, rédacteur à la NZZ. Nous occupons une niche. Notre lectorat préfère le texte aux images.»
Mais Tobias Trevisan, directeur commercial de la NZZ am Sonntag précise: «L’édition dominicale devait trouver un équilibre entre le sérieux de la maison-mère et un ton plus léger, propre au week-end».
Depuis sa fondation en 1780, la NZZ défend toujours des positions bourgeoises-libérales. Son engagement politique est on ne peut plus clair, puisque pour devenir actionnaire, il faut être membre du parti radical. Ou du moins faire la preuve de ses affinités avec la ligne du parti.
Il y a vingt ans, le journal servait sans détour de tribune aux radicaux. «Aujourd’hui, c’est plutôt la NZZ qui influence le parti», plaisantent les mauvaises langues à propos de la déliquescence du radicalisme zurichois. Significatif, la NZZ n’a pas combattu la candidature du socialiste Elmar Elderberger, parti favori ce printemps pour la mairie de Zurich.
Traditionnellement, l’actualité helvétique n’a pas les honneurs de la page une. Celle-ci est toute entière consacrée à l’information internationale. Fleuron historique du journal, la rubrique s’attache à traiter du réchauffement des relations entre le Japon et la Corée du Nord ou de l’état des finances de l’Ouzbekistan.
La NZZ a erigé le puritanisme en dogme. Sa rigueur tient autant au fond qu’à la forme. Les journalistes ne signent que de leur initiales et la liste des noms complets n’est publiée que tous les samedis en fin de journal. Dans la mise en page, les éditoriaux et commentaires ne se distinguent des autres articles que par une infime différence dans la taille de leur caractère. A côté, le Monde a presque l’air futile quand il se frotte à la photo couleur – et les dessins de presse du Financial Times semblent carrément fantaisistes.
Mais la NZZ peut se payer le snobisme de refuser la modernité. Car elle reste la référence. «On peut ne pas être d’accord avec la NZZ. Mais on ne peut pas ignorer ce qu’elle dit», note Fredy Gsteiger, ancien rédacteur en chef de la Weltwoche.
En raison de sa fortune, la NZZ est encore appelée «la banque qui écrit». Actif dans l’imprimerie, le groupe NZZ contrôle aussi le Sankt-Galler Tagblat et le quotidien bernois Bund. Et le rendement des placements financiers pèse de manière non négligeable dans les résultats.
Rançon de sa formidable crédibilité, la NZZ essuie les critiques les plus virulentes au moindre faux pas. L’année dernière, le titre a publié une interview d’Erich Honnegger au sujet de son rôle dans la débâcle Swissair. L’ancien conseiller d’Etat radical présidait alors le conseil d’administration de la compagnie helvétique. Or, il était au même moment également président du conseil d’administration du journal. Un détail que l’article ne mentionnait pas. Le tollé fut cuisant.