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Quand Sharon parle de «déraciner ces sauvages»

Les actes du Premier ministres d’Israël sont éloquents. Ses paroles aussi, mais d’une manière différente. Ecoutons-le un instant.

Le délire armé d’Ariel Sharon, indéfectiblement épaulé par des Américains qui confirment leur amoralité chaque fois que la morale ne leur profite pas, a trouvé ses plus opportunes formulations ces jours derniers.

«Le terrorisme est activé, coordonné et dirigé par un homme, le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat», a donc expliqué le Premier ministre d’Israël, lui-même hors-la-loi notoire, avant d’ajouter que la bataille serait accélérée pour «déraciner ces sauvages».

Intéressante expression, dans la bouche de Sharon, que «ces sauvages»-là. Les naïfs imagineront qu’elle désigne seulement les terroristes avérés. Les sceptiques penseront qu’elle évoque peut-être aussi les kamikazes de seize ou dix-sept ans précipités, par la situation faite à leur pays, dans le désespoir le plus explosif. Et les réalistes, effarés par l’ampleur des dévastations mises en œuvre par Sharon, percevront qu’elle englobe tous les Palestiniens sans exception: hommes, femmes, enfants et vieillards.

Sharon est-il fou? Est-il imbécile? Sans doute. Mais l’intéressant n’est pas là. L’intéressant, c’est de voir que le Premier ministre israélien inscrit son comportement dans un système stable, extrêmement rentable et parfaitement pervers, qui s’érige en symptôme de notre joyeuse époque.

Extrêmement rentable, oui – parce que détruire la Palestine et les Palestiniens sous prétexte de se protéger soi-même, c’est légitimer la poursuite infinie des opérations sur le terrain. Il n’y a pas de terme concevable. La notion de mesure ou de proportionnalité disparaît, et rien ne peut être négocié: puisque je suis menacé, ne suis-je pas fondé à détruire en effet non pas seulement cette maison, mais aussi ce quartier, et ce village, et cette ville, et cette agglomération, et finalement ce pays? et non seulement cet individu qui me semble suspect, mais aussi les amis de cet individu, et sa famille, et sa parenté, et finalement son peuple tout entier?

Et parfaitement pervers – parce que Sharon construit aujourd’hui sa politique sur une instrumentalisation crapuleuse du passé. Il sait très bien que sa marge de manœuvre est due, pour une part essentielle, au sentiment de culpabilité que les peuples et leur opinion éprouvent justement à l’endroit des Juifs exterminés pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Autrement dit le Premier ministre israélien, et ceux qui le soutiennent, ne révèrent pas les morts multipliés dans les camps de concentration. Ils les exploitent séculièrement sur les plans politique, militaire et stratégique, c’est-à-dire qu’ils les tuent une seconde fois. Tel est le viol de l’Histoire achevant de muer Sharon en salopard idéal: il est criminel y compris contre les siens déjà massacrés.

A partir de là, «déraciner ces sauvages» que la création de l’Etat d’Israël avait déjà déracinés de leur sol, avant qu’ils ne l’eussent davantage été dès l’occupation de la Cisjordanie en 1967, n’est-ce pas de sa part une intention cohérente et naturelle, louable en quelque sorte au nom de la civilisation, et pour le bien de l’humanité?