Quand Laura fumait, elle ne se sentait jamais seule. Les cigarettes l’accompagnaient comme des amies fidèles dans ses moments de joie ou d’inquiétude. Jusqu’au jour où…
La dernière fois qu’elle est venue au salon, elle était folle de joie: elle avait arrêté de fumer! Après vingt-cinq ans, à raison de deux paquets par jour depuis l’adolescence, Laura, 40 ans, avait enfin mis un terme à sa dépendance.
«Cela fait maintenant quatre mois que je n’ai pas touché une cigarette et je n’ai pas pris un gramme!» Comme beaucoup de femmes, c’est pour ne pas grossir que Laura avait continué à tirer sur ses clopes, «préférant mourir d’un cancer à 60 ans que d’obésité à 90».

Intarissable sur son sevrage, Laura m’expliqua alors sa décision d’en finir avec ce qu’elle avait longtemps considéré comme un élément constitutif de sa personnalité. Elle avait même entrepris une thérapie pour se débarrasser de cette sensation de chagrin qu’elle éprouvait à chaque fois qu’elle se disait que, raisonnablement, il serait bon d’arrêter. Cette échéance la mettait dans des tristesses inconsolables.
«Vous comprenez, Alice, elles m’ont peut-être fait du mal ces salopes, mais elles m’ont accompagnée dans chaque épisode de ma vie! Dans la joie ou le stress, le plaisir ou l’inquiétude, la colère ou les vacances, elles étaient là comme des amies fidèles! Quand on fume comme je fumais, on ne se sent jamais seul!»
Malgré son attachement à ce qui faisait une partie de son image et qui, avec le temps, avait façonné sa voix, Laura décida brusquement de devenir non-fumeuse. Pourquoi? Parce que sa consommation excessive avait fini par la dégoûter profondément.
«Je regardais les autres fumeurs et j’étais écœurée. Ils me semblaient sales et compulsifs. Plus rien ne me plaisait dans cet accessoire! Ni l’esthétique, ni l’image».
C’est ainsi que ce qui jusqu’ici avait été vécu pour elle comme un sacrifice se transforma en libération. Oui, elle pourrait s’en passer! Oui, elle voulait s’en passer! En d’autres termes: le moment était arrivé!
Courageuse mais indulgente avec elle-même, Laura avait demandé à son médecin traitant de lui prescrire des «nicorette inhalers». Plusieurs de ses collègues de bureau – elle était enseignante – avaient arrêté ainsi. Il s’agit de petites capsules transparentes contenant de la nicotine pure. On les place dans un embout qui ressemble vaguement à un porte-cigarettes et on tire dessus à chaque fois qu’un besoin urgent se fait sentir. C’est le même principe que les patches, eux aussi diffuseurs de nicotine, sauf que l’inhalateur permet une meilleure gestion de son manque. De fait, on ne compense pas sur la nourriture et, surtout, on n’est pas obnubilé par la privation.
«L’avantage de cette méthode, c’est que l’on comprend son comportement de fumeur en même temps que l’on apprend à y renoncer. Je croyais par exemple que je ne pourrais jamais supporter de ne pas en griller une avec mon café du matin. Eh bien c’est celle dont je me suis passé le plus vite!»
Après trois mois de ce régime, Laura se sentait parfaitement bien dans son rôle de non-fumeuse. Elle était calme et avait «oublié» ses amies de vingt-cinq ans. Non seulement elle n’avait plus envie de cigarette mais elle n’éprouvait même plus le besoin de tirer sur sa lolette de substitution. Laura était guérie.
Quel n’était donc pas mon étonnement quand, deux mois plus tard, je la retrouvais en train de chercher nerveusement un cendrier dans tout le salon de coiffure.
– Laura, ne me dites pas que vous avez recommencé?
– Si, ma chère Alice, et si vous saviez comment! Cela faisait six mois que la cigarette était sortie de ma tête et hop!
-Hop, quoi? Vous avez vécu un stress? Un passage difficile? Une soirée trop arrosée?
-Non, rien de tout cela. J’étais chez des amis et un jeune homme fort sympathique – avec qui j’évoquais la biographie d’Alain Vircondelet sur Françoise Sagan – m’a proposé une cigarette. Machinalement, je l’ai prise, allumée et fumée. Vous me croirez si vous le voulez mais j’ai recommencé sans même m’en rendre compte. Mécaniquement, par distraction, comme une habitude immédiatement retrouvée. Elle était très mauvaise, comme la toute première de ma vie, mais elle m’était tellement familière…
-Et depuis?
-Il m’a suffit d’une seule pour que je redevienne accro, comme si rien ne s’était passé. Et voilà, je refume. Ça me dégoûte mais je ne peux pas m’en empêcher.
