L’un est arabe, l’autre juif. Ils ont choisi de vivre ensemble à Jérusalem. Leur union homosexuelle apparaît comme un acte de bravoure sociale et politique.
La situation ne cesse d’empirer au Proche Orient, et on ne sait plus comment décrire les derniers jours du conflit. Les formules semblent avoir toutes été utilisées: «spirale de la violence», «embrasement», «cycle infernal»…
Le salon d’Ezra Yitzhak, en plein centre de Jérusalem, où j’étais reçue hier soir, semblait pourtant si calme. Confortablement installés, acceuillants, Ezra et son ami palestinien Ahmed arrivent presque à faire croire à la normalité. Le premier, costaud et sûr de lui, est à la tête d’une petite entreprise de plomberie. Le second, longiligne et timide, se remet de plusieurs séjours en prison.
Ce n’est pas le fait d’être gay dans la prude et religieuse Jérusalem qui empoisonne la vie du couple. Le problème, ici, c’est avant tout pour Ahmed d’être palestinien. Pour corser le tout, il n’est pas né à Jérusalem mais à Ramallah, c’est-à-dire vingt kilomètres plus loin. Conséquence: il n’a pas de carte d’identité israélienne. Il est donc illégal.
«Ahmed passe son temps à montrer ses papiers, se faire humilier, se justifier. Il risque sans cesse de retourner en prison.» Exaspéré, Ezra a engagé une procédure pour légaliser la situation de son ami. Après des centaines de lettres, de renvois de ministère en ministère, l’organisation de défense des homosexuels Beit Patuaj («Maison ouverte») a rencontré la semaine dernière le Premier ministre Ariel Sharon.
«Sharon a littéralement sauté en l’air quand il a entendu parlé de notre histoire. A croire qu’octroyer un permis à Ahmed serait comme ouvrir la porte à une invasion palestinienne, se désole Ezra. Sharon ne peut accepter notre couple: un juif qui vit en paix avec un musulman, un Israélien avec un Palestinien, c’est intolérable.»
Les parents d’Ezra sont arrivés en Israel en 1951, d’Irak. «Si ma mère rencontrait celle d’Ahmed, elles deviendraient amies: leurs cultures sont si proches», raconte Ezra. Comme sa mère, il est de langue maternelle arabe. Mais avec son ami, il communique pourtant en hébreu. Ahmed l’a appris lors de son premier séjour en prison quand, adolescent, il avait jeté des pierres sur les soldats israéliens pendant la première intifada. «C’est plus facile d’être gay en hébreu», dit-il.
Si Ezra affiche publiquement son homosexualité, les choses sont plus complexes pour Ahmed. «La famille paletinienne d’Ahmed sait qu’il vit chez moi, raconte Ezra. Je les voyais quand j’allais lui rendre visite en prison l’an dernier. Mais nous n’abordons jamais le sujet. La culture arabe reste trop conservatrice pour cela.» Loin de s’en offusquer, Ezra reconnaît qu’il y a en Palestine d’autres problèmes que l’homosexualité, «bien plus cruciaux»…
Malgré la situation complexe, ni l’un ni l’autre ne désire quitter Israël. «Nous aimons ce pays. Mes parents ont été des émigrants. On perd la moitié de soi-même en partant. Ici, nous avons nos familles, nos amis, notre musique, nos goûts. C’est ici que nous voulons vivre, mais en nous battant pour y vivre comme nous l’entendons.»
La semaine dernière, le Premier ministre annonçait à propos des Palestiniens: «Ils doivent être frappés durement. Après, on pourra parler de paix.»
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Caroline Coutau vit et travaille au centre de Jérusalem, à deux pas de la Vieille ville. Elle achète ses oranges dans les centres commerciaux israéliens et son houmous au marche arabe.