TECHNOPHILE

Il faut dégeler Ada

Vous n’avez jamais entendu parler d’Ada Byron, authentique cyber-visionnaire du XIXe siècle? Vous auriez pu la découvrir à Expo.02. Mais le projet a été suspendu.

Ada, le projet d’Expo.02 consacré à l’intelligence artificielle qui devait se tenir à Neuchâtel, vient d’être suspendu, faute de budget. Si aucun sponsoring n’est trouvé, Ada passera à la trappe. Ce serait dommage.

Mais d’où vient ce nom, Ada? En posant la question à Laurent Paoliello, porte-parole d’Expo.02, j’avais une petite idée en tête. Peut-être s’agissait-il de la femme excentrique dont j’avais lu la biographie l’été dernier, Augusta Ada Byron, comtesse de Lovelace? Ma question l’embarrasse: «Vous me posez une colle!»

Ma piste est la bonne. J’en ai la confirmation en contactant les concepteurs du projet, une équipe de l’institut de neuro-informatique de l’EPFZ. En choisissant ce nom, ils entendaient bel et bien adresser un clin d’œil à Ada Lovelace. «C’était une personne tellement importante dans l’histoire de l’informatique: il fallait absolument lui rendre hommage», m’a dit Paul Verschure, l’un des responsables du projet auprès de l’EPFZ.

Considérée comme la mère de tous les programmeurs, Ada reste pourtant un personnage totalement inconnu du public francophone. Sa vie palpitante a suscité plusieurs biographies en Allemagne et dans les pays anglo-saxons. Son prénom a été attribué par le Pentagone à un langage informatique, l’ADA. De nombreuses féministes lui vouent un véritable culte. Elle figure dans l’encyclopédie allemande des «Femmes qui ont fait bouger le monde» (Pattloch Verlag), alors qu’on ne la trouve pas dans nos dictionnaires des noms propres.

En 1998, l’artiste Lynn Hershmann Leeson lui a consacré un long métrage de cinéma, «Conceiving Ada», la présentant comme une véritable héroïne, une cyberféministe d’avant-garde. «She would probably be working on the internet if she was alive today», avance la réalisatrice.

Qui sait, le récit de la vie d’Ada parviendra-t-il peut-être à convaincre un sponsor de débourser deux millions pour permettre à la Suisse de rendre hommage à cette femme d’exception?

Fille du poète Lord Byron, Augusta Ada naît en 1815. Sa mère, Annabella Milbanke est une mathématicienne très douée que son romantique de mari appelle «my Princess of Parallelogism.» Cinq semaines après la naissance de sa fille, Byron abandonne mère et enfant, quitte Londres endetté et soupçonné d’inceste pour se réfugier en Suisse, puis en Italie.

Dès son plus jeune âge, Ada est poussée par sa mère vers l’étude des sciences, pour contrebalancer «l’héritage romantique» de son père infidèle, qu’elle ne reverra jamais. Cette éducation porte les fruits attendus. Toute jeune déjà, Ada élabore quantité de plans de construction de machines les plus diverses.

A 18 ans, elle fait la connaissance de Charles Babbage, un célèbre mathématicien de l’époque. Cette rencontre sera décisive. Le savant lui fait part de ses recherches portant sur un «calculateur universel mécanisé». Fascinée par ce projet, Ada entretient une correspondance régulière avec Babbage. On y trouve le passage suivant: «Je pense que je deviendrai une meilleure mathématicienne que mon père fut un bon poète.» Ambitieuse, Ada l’était.

Un an plus tard, à 19 ans, elle épouse le comte de Lovelace et devient rapidement mère de trois enfants. Qu’à cela ne tienne, délaissant devoirs maternels et ménagers, la très émancipée Ada se consacre prioritairement aux mathématiques et à la musique.

En collaboration avec Babbage, elle réalise alors les premières cartes perforées qui constituent autant de programmes permettant d’effectuer de nombreux calculs. L’ancêtre de notre ordinateur est né. Visionnaire, Ada en prédit les différents usages.

Avec moins de bonheur, elle met au point une machine devant lui permettre de gagner beaucoup d’argent aux courses de chevaux. Résultat, elle accumule d’énormes dettes…

Son état de santé est désolant. Elle souffre d’anorexie. L’opium et les saignées, les moyens thérapeutiques mis en œuvre, ne l’empêchent pas de mourir au même âge que son père, à 36 ans. Dans son testament, sa mère horrifiée découvre qu’elle souhaitait être enterrée aux côtés de son père, au cimetière de Nottingham.

Longtemps tombés dans l’oubli, les travaux scientifiques d’Ada Lovelace et de Charles Babbage ont refait surface un siècle plus tard avec le développement de l’informatique. D’ici peu, nous saurons si «l’intelligence artificielle» sera présente à Neuchâtel l’an prochain ou si Ada restera gelée.

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Les deux principaux ouvrages biographiques sont:

«The Enchantress of Numbers. Prophet of the Computer Age», Betty Toole, Editions D.

«The Bride of Science. Romance, Reason and Byron’s Daughter», Benjamin Woolley, MacMillan.

Une liste complète ici.