LATITUDES

La poésie thérapeutique et le slam

Des banlieues jusqu’aux pharmacies, la poésie affiche une nouvelle vitalité. Et le printemps s’annonce curieusement poétique.

La poésie serait-elle à la mode? Plusieurs indices semblent l’indiquer. Du 26 mars au 1er avril, les francophones célèbrent le Printemps des poètes. Samedi dernier se tenait à Zürich la Nuit de la poésie. Et les jeunes générations ont jusqu’au 10 avril pour participer au Concours international de poésie.

Dans les kiosques, le Magazine littéraire consacre un numéro spécial à la «Nouvelle poésie française». En librairie, les rayons «poésie» s’enrichissent de parutions récentes qui vont d’un impressionnant «Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours» (PUF) à un manuel de «poésithérapie» qui mérite le détour.

«Ça ne va pas?» est le titre de ce livre poésithérapeutique. Son auteur, Jean-Joseph Julaud, professeur de français, propose des poèmes comme traitements à une cinquantaine de maux.

Exemples: vous souffrez d’une surcharge pondérale? Un poème de François Villon s’avère le meilleur coupe-faim. L’infarctus vous menace? Lisez Paul Verlaine. L’éjaculation précoce vous joue de sales tours? Pierre Corneille vient à votre secours. Des crises de foie vous martyrisent? Jules Supervielle vous en débarrassera. Contre la migraine? C’est Baudelaire qui fait merveille.

«Le poésithérapeute considère qu’à chaque désordre physiologique ou psychologique correspond un poème dont la simple lecture atténue les symptômes ou les fait disparaître», affirme Julaud.

….Lorsque mes doigts caressent à loisir
….Ta tête et ton dos élastique,
….Et que ma main s’enivre du plaisir
….De palper ton corps électrique…

(Charles Baudelaire)

Quand les pilules à avaler deviennent métaphoriques, les ordonnances ressemblent à ceci. Contre l’insomnie: un Corbière chaque soir avant d’aller dormir. Contre la constipation: des «Quatrains» de Péguy une fois par jour, à lire dans les lieux qui conviennent. Contre les inégalités d’humeur: «Baise m’encor» de Louise Labé, matin, midi et soir, pendant la nuit aussi, si le Corbière n’a pas fait d’effet.

Cela vous fait rire? C’est tout le mal que vous souhaite le poésithérapeute, qui estime alors être parvenu à ses fins, l’humour guérissant de tout.

Les cures de poésithérapie ne seront pas remboursée par votre assurance mais l’éditeur de «Ça ne va pas?» se porte garant d’une chose: «Si la lecture de ce livre ne vous fait pas de bien – tout au moins sur le moment -, elle ne vous fera aucun mal». La pharmacopée traditionnelle ne peut pas toujours en dire autant.

Déception: les poèmes-remèdes auxquels Julaud fait appel sont signés des plus grands noms de la production française. A ses contemporains, l’auteur a préféré une galerie rassurante d’ancêtres. Dommage. Son choix donne envie de dépoussiérer les mots.

En refermant ce livre plus amusant que sérieux, un désir de poésie buissonnière m’a conduite chez les «slameurs», ces troubadours modernes popularisés par le film de Marc Levin «Slam» et associés aujourd’hui au «Printemps des poètes».

Le slam originel est apparu à Chicago dans les années 80, sous la forme de matches poétiques, proches de l’univers du rap. Il s’est développé dans la rue, les cafés, les librairies, à la radio et sur le Net.

Pilote le Hot, chef de file du «slam» parisien lance: «Nous sommes les médiateurs d’un chaos culturel et social». Une définition dans laquelle on trouve également une connotation thérapeutique. La poésie parlée qu’est le «slam» contribue à réinjecter la poésie dans les formes d’expression actuelles.

….J’T’M PASSQUE point carré
….J’T’M PASSQUE accroche cœur
….J’T’M PASSQUE grain de beauté
….J’T’M PASSQUE pâtes au beurre
….J’T’M PASSQUE Jésus Christ
….J’T’M PASSQUE Sainte nitouche
….J’T’M PASSQUE raviolis
….J’T’M PASSQUE jolie bouche

(Pilote le Hot)

Les ateliers organisés un peu partout en France (écoles, prisons, églises, bureaux de poste, hôpitaux, librairie…) permettent, selon Gérard Mendy, activiste du verbe, de concilier «le travail du rythme de la phrase, la spiritualité, la parole des griots africains, la poésie et le quotidien».

Pour Julaud, les mots lus soignent. Pour les slameurs, les mots «déclamés, vomis, hululés, aboyés, meuglés» ont le pouvoir de revitaliser les esprits. «Le slam, ce n’est pas pour glorifier le poète, c’est pour servir la communauté», disait Marc Smith, personnalité américaine du mouvement.

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Jean-Joseph Julaud, «Ça ne va pas?», éditions Le Cherche Midi.
Pilote le Hot, «Slameur des villes, slameur des champs», Slam éditions & Castor Astral