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Quand les algorithmes dictent nos goûts

Des algorithmes prédictifs et prescriptifs permettent de cerner nos goûts. Mieux que nous-mêmes? Retour sur le dernier ouvrage de Tom Vanderbilt, «You May Also Like».

«Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas». Un adage populaire incorrect! Nos goûts ne sont pas strictement individuels mais explicables, comme l’affirmait Pierre Bourdieu dans «La distinction» (1979). Alors que l’individu se croit libre de ses choix et opinions, il est en fait influencé par son éducation. Et ses goûts sont des marqueurs de sa position sociale, estimait le sociologue français.

L’entrée dans l’ère numérique bouleverse-t-elle la donne? Quel est l’impact des multiples recommandations qui tentent d’orienter nos choix lors d’achats en ligne? Dans «You May Also Like. Taste in the Age of Endless Choice», le journaliste américain Tom Vanderbilt explore cette mutation en cours.

Un livre qui se déguste, à l’image du cornet de glace au chocolat qui figure sur sa couverture de très bon goût. Je précise que j’ai découvert moi-même l’existence de cet ouvrage. J’en suis assez fière. Il ne m’a pas été recommandé par un «you may also like» d’Amazon, comme c’est si souvent le cas (récemment, je n’avais pas apprécié que l’algorithme me conseille un livre que je venais d’acquérir chez ma libraire. Moi qui pensais être imprévisible…)

«Vous aimez tel écrivain? Lisez donc les livres suivants.» «Ceux qui comme vous ont aimé tel film ou telle musique ont aussi aimé tels autres.» Il est devenu facile de déléguer la tâche du choix. La playlist de Spotify, par exemple, propose chaque semaine à ses abonnés trente nouveaux titres susceptibles de leur plaire grâce à un «profil utilisateur» bien documenté. Mieux encore, Spotify Running concocte une playlist adaptée au tempo de notre course à pied.

Résultat: ce sont des algorithmes prédictifs et prescriptifs (recommandations, découvertes, évaluations et classements) qui dictent de plus en plus nos choix. Les «tastemakers» qu’ils sont devenus agissent comme des filtres dans l’accès aux divers contenus. Heureux consommateurs, soulagés de la tyrannie du choix et du risque de paralysie face à l’abondance de l’offre, pour les uns. Pauvres victimes «d’algorithmes qui détruisent notre singularité en créant un double de nous-mêmes qui n’est qu’une image statistique», pour le philosophe Bernard Stiegler.

Partant du constat que «nous sommes étrangers à nos goûts», Vanderbilt entend nous familiariser avec eux. Pourquoi aimons-nous l’arôme de cette glace, cette boisson, cette chanson, cette musique, cette photo sur Instagram? La plupart du temps, nous l’ignorons et sous-estimons ou nions même les influences que nous subissons et les manipulations dont nous sommes l’objet.

Du premier chapitre consacré aux goûts alimentaires, on retiendra que seule une minorité de nos préférences gustatives est innée, la majorité est acquise. «Personne n’est né en aimant ou en n’aimant pas les cuisses de poulet.»

Côté préférences culturelles, elles sont fragiles, arbitraires, très sensibles au contexte dans lequel elles s’expriment. Ainsi, en public, nous raffolons des documentaires mais passons nos soirées devant des séries de téléréalité. Un chapitre est précisément dédié à la manière dont Netflix ignore ce que nous prétendons aimer, conscient du fossé entre aspirations et comportements. Il préfère sonder «les déterminants qui nous font délaisser ‘Hotel Rwanda’ pour s’empiffrer de ‘The Vampire Diaries’».

Que disent de nous nos goûts musicaux? Pourquoi ce que nous détestons est-il plus révélateur que ce que nous apprécions? Comment nos goûts évoluent-ils avec l’âge? Peut-on encore parler de «distinction» en 2016? Une standardisation des goûts menace-t-elle ou est-elle déjà à l’œuvre?

Si ce petit échantillon de questions abordées par Vanderbilt éveille votre curiosité, vous allez sans doute apprécier «You May Also Like».