LATITUDES

Les murs se multiplient

Partout dans le monde, on continue à ériger des murs pour contrôler, exclure ou interdire. Depuis Calais jusqu’à la Hongrie, tour d’horizon bouché.

Murs, clôtures, barrières, cloisons… L’être humain n’en finit pas de se barricader. Comme s’il n’y avait pas d’autres manières d’envisager la cohabitation. En Suisse, le Code civil consacre une vingtaine d’articles à ce droit du voisinage un peu particulier et les avocats voient se multiplier les affaires où la construction d’un mur apparaît comme la seule solution. «Quand on en vient à dresser un mur pour empêcher le chat du voisin de venir dans son jardin… Je ne m’étonne plus de rien», soupirait, en aparté, un conseiller communal jurassien en charge d’un litige dans sa petite localité.

«Des murs? Plus jamais ça!», disait-on en 1989. L’écroulement du Rideau de fer semblait annoncer la fin des murs, à Berlin et ailleurs. On parlait alors du droit des citoyens de circuler à leur guise — comme les marchandises à l’heure de la mondialisation — dans un monde sans frontières.

Un quart de siècle plus tard, les murs politiques sont toujours là et ils se multiplient. Leurs commanditaires se gardent d’utiliser le mot «mur» et parlent de «lignes», de «lignes de paix», de «ligne verte», de «grillages de protection», ou encore de «frontières clôturées». Leur fonction: arrêter les «nouveaux barbares», contenir ces «fuites d’eau», terme utilisé par Nicolas Sarkozy pour qualifier le problème des migrants.

De nouvelles barrières vont être construites à Calais. Et il y a quelques jours, des travaux débutaient dans le Sud de la Hongrie pour ériger un mur sur les 175 kilomètres de frontière avec la Serbie. La décision des autorités de construire ce mur anti-immigration a suscité des indignations dans le pays. «Aussi haut soit-il, il n’empêchera pas les gens de fuir la guerre», clamaient les opposants lors d’une manifestation. Au même moment, à Sarajevo, le pape adressait aux jeunes ce message: «Vous avez une grande vocation: ne jamais construire des murs, seulement des ponts!»

Un livre récent, «Murs, une autre histoire des hommes» (éditions Perrin, 2014) dresse un inventaire de ces édifices que l’on construit pour contrôler, exclure ou interdire. L’historien français Claude Quétel raconte comment les murs d’appropriation (les «limes» des Romains, les barbelés de l’Ouest américain) ont progressivement laissé la place aux murs de propriété. On a aussi vu apparaître des murs religieux comme celui des lamentations, médicaux comme le mur de la Peste, fiscaux comme le mur des fermiers généraux à Paris. Sans oublier les innombrables murs de supplice, murs des ghettos ou murs de la mémoire.

Si l’on s’intéresse à la famille des murs «politiques» qui contrôlent, excluent ou interdisent, on peut aujourd’hui en dénombrer une trentaine dans le monde. «Ils ont encore un bel avenir», selon Claude Quétel. Traités de «murs de la honte», de «murs de l’humiliation», ils ont pour dénominateur commun la peur de l’autre.

Derniers en date, les «gated communities», ces «îlots sécurisés» dans lesquels résident les gens de bonne compagnie. Sans oublier les murs virtuels, ces cybermurailles érigées par des régimes autoritaires, qui bloquent l’accès de leurs ressortissants à internet. En Chine, «the Great Firewall of China» succède à «the Great Wall of China»…

Toujours conséquence d’un problème, «les murs ne prétendent pas être des solutions. Ils sont des réponses», observe l’auteur.

Combien de rêves viennent se briser sur des murs matériels ou invisibles, faits d’incompréhension et d’indifférence? Pour s’en remettre, rien de tel que de construire soi-même des murs! On vient d’apprendre que Tetris, le jeu mythique, aurait des vertus thérapeutiques. D’après une étude parue dans la revue Psychological Science (1er juillet 2015), ce jeu pourrait aider les personnes souffrant de souvenirs douloureux à la suite d’un événement traumatisant.