LATITUDES

L’habit fait la pensée

Les vêtements influencent à coup sûr le regard d’autrui. Plus insoupçonné, selon une étude californienne, ils agiraient également sur la pensée de celui qui les porte.

Alors que leurs aînés portaient cagoules, vestes de treillis, jeans et chaussures de randonnées, les jeunes militants de la Jeunesse indépendantiste (GI) corse ont opéré un changement de code vestimentaire. «Depuis le dépôt des armes par le FLNC, le dress code a changé», confirme Maxime Poli, un des responsables de la GI, dans «Le Monde». Preuves en sont ses propres affiches de campagne aux récentes élections départementales. Il y pose en costume-cravate.

La relève indépendantiste de l’île de Beauté bouscule, sur la forme, les habitudes de l’ancienne génération. Et sur le fond? Ses interlocuteurs relèvent son réel désir de dialogue. Maria Guidicelli, membre du conseil exécutif de Corse, parle d’un «échange constructif avec des jeunes gens qui n’avaient rien d’exaltés, étaient posés et réfléchis».

Le port du costard aurait-il métamorphosé les turbulents jeunes nationalistes? Selon des chercheurs de l’Université d’Etat de Californie à Northridge, la supposition n’a rien de fantaisiste. Leur travail, publié en avril dernier dans la revue «Social Psychological and Personality Science», part précisément de l’hypothèse que des vêtements formels modifient le processus de pensée de ceux qui les endossent.

Intitulée «The Cognitive Consequences of Formal Clothing», la publication conclut que «porter des vêtements formels nous donne l’impression d’être puissant et modifie le regard que nous jetons sur le monde». Ainsi, les personnes qui portent des tenues soignées auraient une approche plus holistique de la réalité et seraient moins sensibles aux détails que celles en tenues décontractées. Dans le jargon psychologique, on traduit cela en disant que «porter un vêtement formel encourage les individus à user plus volontiers d’un processus cognitif abstrait que concret». Un résultat qui, transposé dans le monde du travail, valorise la collaboration avec des cadres en costume, donc aux pensées globales.

L’étude repose sur une série d’expériences menées avec une soixantaine d’étudiantes et d’étudiants confrontés à des tests cognitifs, vêtus soit de tenues habillées (avec lesquelles ils se présenteraient à un entretien d’embauche) ou décontractées (celles qu’ils portent habituellement sur le campus). Les scientifiques ont ainsi pu clairement établir un lien de causalité entre type de pensée et vêtement porté.

Alors que la sphère professionnelle s’affranchit de bien des contraintes vestimentaires, l’étude californienne risque bien de susciter le débat. Anticipant les critiques, Michael Slepian, un de ses co-auteurs, estime qu’il faut beaucoup de temps pour que les symboles et leurs appréciations changent et qu’il ne s’attend pas à ce que l’aura du costume s’étiole prochainement. «D’ailleurs il n’existe pas de recherche – seulement quelques observations anecdotiques – relatives à la perception du monde lorsque l’on porte un col roulé noir et des jeans», a-t-il précisé dans une interview au magazine américain «The Atlantic».

Un clin d’œil au col roulé noir Issey Miyake de Steve Jobs. Dans la biographie que Walter Isaacson consacre au fondateur d’Apple, on lit qu’après avoir rencontré le créateur japonais, Steve Jobs «se mit à aimer l’idée d’avoir un uniforme, à la fois pour une question de commodité au quotidien (…) et pour se créer un style». Il a fait des émules. On pense au tee-shirt gris de Mark Zuckerberg et à bien d’autres génies de la Silicon Valley qui brisent la dictature des costumes-cravates. Les survêtements de coton constituent des terreaux propices à l’innovation. Il s’agit peut-être là du «casual wear» de demain. Une étude démontrera alors que penser avec sa tête dans un «hoodie» (pull à capuche) stimule avantageusement l’imagination.

En attendant ce renversement de paradigme, s’il semble encore capital de porter un costume pour réussir dans la vie, il devrait en être de même pour conquérir les vagues. La marque australienne Quiksilver vient en effet de lancer une combinaison néoprène pour surfeurs qui reprend trait pour trait la coupe d’un costume classique. Inspirera-t-elle le respect des requins qui ont déjà tué deux d’entre eux depuis le début de l’année?