La présidence de la Grisonne a été plutôt poussive, à l’image d’une année politique déprimante. En attendant pire?
Au moment de redevenir simple ministre des finances, la présidente Widmer-Schlumpf n’a pas retrouvé un sens politique qui a semblé la fuir singulièrement une année durant. Elle réussit même in extremis à s’attirer les foudres d’un parti guère suspect de la haïr et de caractère ordinairement peu orageux. Les radicaux sont en effet montés sur leur très grands chevaux après que la Grisonne eut simplement évoqué la possibilité d’éventuellement discuter d’échanges d’informations automatiques avec l’Union européenne.
Inadmissible pour le président des radicaux Philipp Müller, à qui l’on a dû apprendre sans doute au berceau qu’en Suisse tirer dans le dos des banquiers, cela ne se faisait pas, et pouvait même s’apparenter à un péché fortement capital. Et le bon père Müller de suggérer illico qu’on retire à la ministre des finances le secrétariat des questions financières internationales pour le transférer dans le giron du DFAE, dirigé par un des leurs, autrement dit chez les grandes personnes.
Sur un point au moins, cela dit, on peut être sûr que 2013 politiquement ressemblera à 2012: le durcissement du droit d’asile sera la priorité de l’UDC, annonce ainsi son président Toni Brunner dans la Sonntagszeitung. Avec le lancement probable d’une ou deux initiatives sur ce thème. Si ce n’est pas de la monomanie, ça y ressemble, si ce n’est pas courir après l’électeur, cerveau en berne et ventre à terre, c’est que les mots n’ont plus de sens. Bref encore et toujours l’obsession du marketing politique au détriment d’une vision du bien public: l’UDC comme par le passé restera, malgré sa bimbeloterie folklo-patriotique, le parti le plus férocement anti-suisse.
Enfin, nouvelle année oblige, les observateurs patentés analysent les cartes de vœux des conseillers fédéraux, histoire d’y guetter une révélation d’ordre psychanalytique. Ainsi Didier Burkhalter semble commencer à vouloir exister un peu, passant du simple papier blanc à en-tête fédéral aux dorures d’une carte tout miel, toute abeille. Imaginée entre autre par Nicolas Bideau, qui concède: «L’ensemble ne s’impose pas d’entrée, il faut un peu de temps pour saisir la cohérence du tout.» Avec Burkhalter, c’est sûr on cherche encore.
Le paysage montagnard et neigeux de Haute-Engadine, envoyé par le président Maurer, ne semble dire qu’une chose: Maurer est bien celui qu’il parait, et le message n’est pas spécialement rassurant. Même type de bucolisme pompier et alpestre et même interprétation pour le transparent ministre de l’économie Schneider-Ammann. Grand prix en revanche de l’humour noir involontaire pour la ministre des transports Doris Leuthard avec son horloge CFF surplombant des quais déserts. Les usagés qui ont vécu l’enfer d’un mois de décembre ferroviaire lourdement perturbé par trois flocons, sauront déguster. Sur la carte de la ministre aurait pu figurer cette remarque entendue d’un contrôleur héroïque au milieu de la tempête: «Ce ne sont pas les trains qui ont du retard mais les horloges qui avancent.»
Quant à la croix suisse sur fond noir d’Alain Berset, avec bout de Cervin ensoleillé, elle a laissé perplexe la journaliste du «Temps» Valérie de Graffenried: «L’aspect carte mortuaire intrigue, interpelle. Certains croient déceler des formes sensuello-érotiques dans la croix, d’autres préfèrent voir le symbole d’une Suisse solide comme un roc au milieu d’un monde en difficulté.» On pourra risquer la synthèse: Berset appelant de ses vœux une Suisse sensuello-érotique comme un roc.
Des enfants sautillant sur des pavés couverts de feuilles mortes… La carte de Simonetta Sommaruga, même si ce sont les pavés dans la mare offerts par des pères en colère militant en faveur de l’autorité parentale conjointe, a pour mérite de rappeler naïvement la raison d’être idéale du métier de politicien, tel qu’il se rêve au pays des Bisounours: «Construire un bel avenir pour nos enfants.» Esprit de Noël, es-tu là, enfin, avec Eveline Widmer-Schlumpf et ses cartes dessinées par des handicapés. On n’osera pas en en tirer le parallèle avec une année présidentielle plutôt boiteuse et sans vision.
Même si, aux yeux de certains, ce parcours en demi-teinte de Widmer-Schlumpf pourrait être en partie excusé par une malencontreuse circonstance atténuante: un satané double patronyme à peu près imprononçable pour tout être normalement constitué, c’est-à-dire non germanophone. François Hollande n’a ainsi articulé qu’une fois son nom en conférence de presse après leur rencontre à Paris, optant sinon pour le prudent et commode synonyme de «la Présidente». Iossif Vissarionovitch Djougachvili avait pourtant jadis montré l’exemple en se faisant appelé Staline, et pas que pour les intimes.
