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Initiative Minder: le grand défouloir

Le contre-projet gouvernemental à l’initiative Minder sur les salaires abusifs des grands patrons ressemble à une coquille vide. Le bon peuple pourra donc sans remord passer sa rogne dans les urnes.

Ce sera, évidemment, pour le citoyen, un vrai bonheur. Le défouloir absolu. De quoi garder fière et belle humeur jusqu’à ce fameux 3 mars 2013. Ce jour-là tout sera payé, soldé, nettoyé. Gloire soit donc rendue à l’initiative Minder. Quoi de plus précieux, en ces temps de détestation automatique des riches, des gras et des insolemment nantis, que de pouvoir river leurs clous, par bulletins de vote interposés, aux gros d’entre les gros, à savoir les patrons des multinationales et leurs rémunérations maousses?

Le Conseil fédéral et les chambres auraient pu venir gâcher la fête en proposant un contre-projet crédible, solide, débarrassé des ambiguïtés et des impraticabilités notoires de l’initiative. Rassurons-nous, il n’en sera rien. Le contre-projet ne sera qu’indirect — ancré dans la loi mais non soumis à votation — et tellement vide, tellement mou, qu’il équivaudrait à peu près à un simple rejet de l’initiative.

Certes Simonetta Sommaruga, au nom du Conseil fédéral, a effectué un joli numéro de claquettes. En redisant d’abord son accord avec le principe de base de l’initiative, ce qui ne mange pas de pain et permet de se donner le beau rôle, en tirant au passage l’oreille des vilains patrons. «La réaction de la population contre les salaires abusifs versés par certaines entreprises, indépendamment des résultats, est justifiée. Il est indiscutable qu’une solution doit être apportée pour lutter contre cette mentalité de libre-service.»

Mais pour aussitôt trouver tous les défauts de la Terre au texte Minder. Ainsi, renforcer le pouvoir des actionnaires, selon la ministre, n’offrirait aucune garantie de rémunérations plus orthodoxes puisque — est-ce bien croyable? — parmi ces braves gens se cacheraient aussi quelques profiteurs. Quant à la réélection chaque année des conseils d’administration, là aussi mauvaise pioche: cela favoriserait les stratégies à court terme. Ne parlons même pas de l’interdiction des indemnités de départ, les fameux parachutes dorés: néfastes pour les entreprises comme pour l’attractivité globale de la Suisse.

Mais surtout, ce pouvoir que l’initiative entend redonner aux actionnaires ne serait plus, dans la mouture gouvernementale, que consultatif. Entre un pouvoir consultatif de fixer les rémunérations des dirigeants et pas de pouvoir du tout, c’est-à-dire le statu quo défendu par Economiesuisse, la différence est mince et pour tout dire aussi évanescente qu’un symbole.

Pas démonté, Thomas Minder, conseiller aux Etats à l’étiquette et à la provenance aussi improbable l’une que l’autre — indépendant schaffhousois, a-t-on idée? — fait remarquer que la goinfrerie appelle la goinfrerie, et l’indécence vole au secours de l’indécence. En faisant allusion au huit millions de francs supposés que dépensent et dépenseront les opposants à son initiative.

Se profile ainsi, au final, un vote avec les tripes, l’humeur et la rage. Un vote donc, inévitablement, déraisonnable. Qu’importe: si l’initiative est balayée — ce qui semble probable vu le front quasi sans faille montré par le patronat et toute la droite, alors que la gauche se divise entre le contre-projet et l’initiative –, une autre possibilité de ressortir la machine à baffes sera bientôt offerte.

Grâce à l’initiative des jeunes socialistes prônant de réduire légalement à douze fois l’écart maximal dans une entreprise entre le plus haut et le plus bas salaire. Autant dire qu’à nouveau cela va saigner. Et que les initiatives populaires, à mesure qu’elles perdent toute portée politique, gagnent néanmoins en vertu psychanalytique, pour ne pas dire médicale.