Cette communauté dansante compte 12 millions d’adeptes et son inventeur se pose en missionnaire. Le bonheur de l’humanité passerait-il par une fête de fitness exaltante?
«Je me vide la tête et mon corps brûle des calories sans que je trouve ça pénible», s’extasie Laure en parlant de son cours de Zumba. Une adepte parmi les 12 millions que compte la communauté fondée par Alberto Perez, surnommé Beto. Un nombre qui ne cesse d’augmenter avec une implantation dans 125 pays et 110’000 lieux de réunion.
A l’origine de ce succès, un bel exemple de sérendipité, soit l’exploitation créative d’un imprévu. Au milieu des années 1990, Alberto Perez, un talentueux prof de fitness de Cali, en Colombie, panique à l’heure de démarrer son cours; il a oublié ses cassettes chez lui. Pas question de faire bouger ses clientes sans un support acoustique.
Il pense alors à sa compilation favorite qu’il trimbale dans son sac et tente le coup. Grâce à cette sélection faite de rumba, salsa, cha-cha-cha, merengue et samba, c’est l’engouement général. La Zumba était née.
En 1996, la chanteuse Shakira fait appel à Beto comme chorégraphe pour son album «Pies Descalzos». Un précieux coup de pouce qui lui permettra de connaître la notoriété. En 2001, il débarque à Miami et y fonde avec deux managers colombiens, Alberto Perlman et Alberto Aghion, la firme Zumba Fitness.
Plus question d’entraînements rébarbatifs pour se maintenir en forme. Place à la fête! À la «fitness-party» dont «on ne pourra plus se passer, une fête de fitness exaltante, efficace, facile à suivre, pour brûler des calories et emmener des millions de personnes vers la joie et la santé», lit-on sur le site de la florissante entreprise. Le programme Zumba allie une musique torride et des pas de danse contagieux.
«Sans souffrance, sans sacrifice, seulement l’euphorie de la fête (…), telle une drogue salvatrice, la Zumba peut vous faire prendre un nouveau tournant et changer votre vie à jamais», apprend-on, toujours sur le site officiel.
La marque commerciale s’était fixé comme objectif de répandre la philosophie de la santé et de la joie à l’échelle planétaire. DVD, CD, publicités, cours de formation d’instructeurs, ligne de vêtements et accessoires, jeux vidéos sur Wii, Xbox et PS3, ont depuis diffusé la bonne parole loin à la ronde. Le programme initial a fait des petits: Zumba Gold, Zumba Toning, Aqua Zumba, Zumbatomic, Zumba in the Circuit. La naissance prochaine de Sit Down est annoncée.
L’évangile selon Beto se porte comme un charme. «Je voulais amener tout le monde à danser et ainsi placer des sourires sur les visages», confie le père de la Zumba (dans le magazine «Fit for Fun», avril 2012). Si, avant lui, Jane Fonda avait su quelque temps galvaniser des fans avec son programme de sculpture du corps, Beto est plus ambitieux: «Nous devons prioritairement apporter du courage, de la passion et de l’amour. Les gens le sentent, c’est pourquoi ils me suivent. Je crois en Dieu et la Zumba est ma mission. Dieu m’a confié cette mission, ce privilège, et je remercie chaque jour le Créateur d’être en mesure de procurer autant de joie aux gens.»
Laure appartiendrait-elle à une secte? Au bénéfice d’un enthousiasme un peu émoussé après trois mois de pratique, elle n’esquive pas l’impertinente question. «Oui, la tentative de créer un sentiment d’appartenance est clairement ressentie. D’ailleurs, les tenues vestimentaires estampillées «Zumba» y contribuent. Et puis, comme dans les sectes, ce sont presque toujours des hommes qui officient, alors que les pratiquants sont essentiellement des pratiquantes. Une autre chose me frappe: les morceaux sur lesquels on danse comportent tous dans leurs paroles des «Zumba, Zumba», tels des cantiques avec leurs alléluias.»
Suit un grand éclat de rire! Laure et ses amies ne sont pas dupes, ni gravement accros. Elles sont les victimes consentantes d’une «secte» qui s’effondrera avec l’arrivée d’une prochaine tendance.
A l’heure de la décélération, de la vague «slow», cette prochaine tendance pourrait s’appeler «nueva cumbia». Lorsqu’il mixe de la cumbia, Philippe Cohen-Solal, de Gotan Project, constate (dans «Télérama», 14 mars 2012): «Les gens sourient, ont la banane, sans ecstasy! Et tout le monde danse: c’est un rythme plutôt lent, très facile…Même pour les garçons.»
