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Un si long péché

Cette fois, les radicaux ne s’allieront pas avec l’UDC, sauf chez les Machiavel de poche vaudois. Un retour tardif à la vertu qui risque de ne pas être récompensé: en politique, les erreurs se paient comptant et surtout longtemps.

Ce sera l’une des particularités de la cuvée fédérale 2011. Les deux poids lourds de la droite, la vraie, celle qui a du poil au menton, choisissent de partir au combat chacun de leur côté. Le mariage de (mauvaise) raison entre radicaux et UDC semble avoir vécu.

Finies les alliances de circonstances, mêlant un peu de fausse honte et beaucoup de vrais petits calculs. Radical échaudé aspire désormais à l’eau tiède. Les apparentements et autres combinaisons florentines avec les agraro-blochériens, auxquelles longtemps les troupes du général Pelli se sont laissées aller, leur ont rarement porté bonheur.

C’était toujours le même larron UDC qui tirait du feu électoral les meilleurs marrons. Les radicaux y perdaient généralement des plumes, du côté de leur aile sociale qui renâclait à entériner une union jugée morganatique et peu digne des valeurs humanistes portées par le radicalisme historique.

De l’autre côté, pas gêné par ces micmacs boiteux, l’électorat UDC continuait à voter compact pour les siens. Bref, un marché de dupes ou du moins quelque chose qui y ressemblait fort.

Conséquence: un seul accord cette fois, dans le canton de Vaud, contre tout de même huit alliances en 2007, dans les cantons de Berne, Vaud déjà, Neuchâtel, Jura, Zurich, Bâle, Argovie, Thurgovie.

Dans le Jura, par exemple, l’expérience avait été particulièrement traumatisante pour les radicaux, l’acoquinement avec l’UDC débouchant sur la très improbable, l’impossible même, élection du clown-psychiatre à bretelles Dominique Baettig.

L’UDC, en poussant le bouchon de la provoc de plus en plus loin, a rendu de plus en plus difficile pour ses alliés potentiels, et tout spécialement les radicaux, la construction de passerelles qui tiennent debout.

La cuillère pour souper avec le diable commençait à devenir franchement trop longue. Sauf pour les radicaux vaudois qui dévoilent en la circonstance, par la voix de leur secrétaire politique Gilles Meystre, toute la hauteur de leurs vues et l’immensité de leurs ambitions: «Il peut suffire de quelques suffrages pour sauver un siège.»

Certes, l’étincelle qui a engendré la rupture et semé la plus franche zizanie entre petits cousins PLR et UDC n’a pas été provoquée par un désaccord idéologique de fond. Ce n’est pas la xénophobie supposée et caricaturale de l’initiative «contre l’immigration de masse» qui a rebuté définitivement les radicaux. Mais ses conséquences très concrètes pour l’économie.

Toucher à l’économie pour un radical, c’est comme attenter aux saintes huiles ou souiller le Graal. Ce n’est ainsi pas tant la stigmatisation de l’étranger qui semble heurter la fibre radicale, mais la seule libre circulation des personnes. «Personnes» signifiant ici «personnel», «travailleurs», «employés», évidemment taillables et corvéables.

Le président d’Economiesuisse Gerold Bührer explique très bien ce désaccord en qualifiant l’initiative UDC «d’irresponsable»  car coupable de «remettre en cause le système de la libre circulation des personnes», ce qui «serait fatal pour l’économie et l’emploi». D’ailleurs, qui l’ignore, sauf les primitifs socialistes et les pithécanthropes nationalistes, «le prix de l’accès aux marchés, c’est l’ouverture du nôtre». Circulez, bonnes gens il n’y a rien à voir. Ni à espérer sauf l’impitoyable mais juste loi du marché.

Si l’on peut imaginer que cette rupture avec les pyromanes de l’UDC pourra clarifier la ligne de conduite et la pensée radicale, et donc lui redonner des couleurs électorales, cela pourrait bien ne se produire qu’à long terme. Tant les petites et grandes lâchetés politiques, les compromissions à courte vue, n’en finissent pas de se payer, aussi tenaces que le sang sur les mains de Lady Macbeth.

Dans l’immédiat, le dilemme qui se dresse devant le grand vieux parti ressemble bien à un jeu de qui-perd-perd. C’est ce qu’estime dans la presse alémanique le politologue Michael Hermann: «Egal was die FDP macht, sie kann nicht gewinnen». Traduction approximative: tu vends ton âme, tu ne vends pas ton âme, tu crèves quand même.