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Recette de cuisine préélectorale

A l’approche des élections fédérales, les derniers sondages montrent un électeur tiraillé entre de vieux fantasmes et un goût immodéré pour l’actualité immédiate. Analyse.

Fukushima? Connais pas. Les électeurs suisses sondés par l’institut GFS ne sont plus que 16% à placer l’environnement au premier rang de leurs préoccupations. Ce qui les affole désormais? Le franc fort et, comme d’habitude, ces satanés «mouvements migratoires».

Pour le franc fort, gageons que ça passera au premier renversement de tendance boursicoteuse, incessamment sous peu donc. Dans l’imaginaire du votant à croix blanche, l’immigration en revanche ne semble jamais connaître répit ni coup de mou. Plus résistante que l’apocalypse nucléaire, la hantise d’invasions forcément massives et incontrôlées. 26% des sondés en font leur préoccupation majeure et 17% la placent au second rang.

Conséquence immédiate: l’envolée des Verts dans les sondages après la catastrophe de Fukushima a de l’uranium dans l’aile. D’un pic de 10,9% des intentions de vote, les écologistes sont retombés à 10,1. Quelques résidus radioactifs japonais continuent cependant d’affecter et d’infecter l’UDC — un parti tellement nul sur les questions énergétiques que Fukushima lui a enlevé, durablement semble-t-il, trois bons points (de 30 à 27%).

Le guêpier du franc fort quant à lui redonne des couleurs inespérées au parti radical, tant cette formation est identifiée au monde de l’argent et de la finance, où les électeurs la supposent plus compétente et plus au fait des arcanes et micmacs que ses concurrentes.

Autre petit miracle: le PDC, pourtant considéré comme le plus compétent sur aucun thème, connaît lui aussi une sorte d’embellie qui le ramène à 15%, après être descendu jusqu’à 12 et des poussières. Dans des propos rapportés par Le Temps, son chef de campagne Gerhard Pfister avance une formidable explication à cette remontée surgie de nulle part: « Le fait de ne pas avoir de positions claires (nous) permet de mieux négocier avec les autres.» Et d’être perçu comme le parti qui «forge les majorités».

Pas les idées claires peut-être, mais de la ruse à revendre comme l’a montré le président Darbellay face à la terrible question piège du Matin: «La nuit, c’est plutôt boxer, slip ou nu?» Réussissant à éviter le ridicule où on voulait l’acculer, Christophe Darbellay a répondu: «Je dors avec un T-shirt que m’ont offert les femmes du PDC.» Partie sur de telles bases, la campagne qui vient fait déjà saliver.

D’autant que la classe politique paraît pouvoir compter sur une relève prometteuse au sein du corps électoral. Une génération apparemment décidée à perpétuer une certaine conformité ambiante.

Le même institut GFS, dans un sondage pour le Crédit Suisse sur les jeunes de 16 à 25 ans, révèle que pour 45% d’entre eux, l’intégration des étrangers (encore eux, toujours eux) demeure le principal souci. Suivi par le chômage (39%) et l’AVS (36%). L’AVS qui vous taraude à moins de 25 ans, voilà qui est lourd de grosses promesses. Une génération, qui plus est, restée sagement patriote puisque 72% se sentent «attachés à la Suisse». Quant aux autres, on préfère ne pas imaginer à quoi.

Que tirer, enfin, de cette petite cuisine préélectorale montrant que le cœur de Fukushima n’a pas seulement fondu dans son réacteur mais aussi dans nos mémoires immédiates? Peut-être que l’électeur de base connaît une fâcheuse tendance à zapper d’un thème et d’une préoccupation à l’autre, au gré d’une actualité que nous consommons avec un mélange pas très ragoûtant de distraction et de gourmandise.

Qu’aussi ce même électeur s’attache durablement à d’inoxydables fantasmes, comme le prétendu péril d’une immigration massive. Quitte à s’asseoir tranquillement sur de simples principes universels comme la solidarité ou l’encore plus simple capacité à se mettre un instant, rien qu’un instant, à la place d’autrui.

Lesté de ces deux péchés pas si mignons, le voyeurisme indifférent et la rêverie angoissée, voilà l’électeur de base qui sommeille en chacun d’entre nous prêt à faire encore parler de lui loin à la ronde.