Quel méchant tohu-bohu, entre la récupération agrarienne d’Amy Winehouse, la bruyante aphonie du Conseil fédéral face au franc fort et l’insoutenable légèreté de Madame la Présidente.
Cela ne semblait pas à la portée du premier crétin des Alpes venu, mais l’UDC valaisan Gregory Logean l’a fait: choquer la presse people et bobo de France et d’Angleterre. Le magazine «Gala» qualifie ainsi de «vision révoltante» la fameuse affiche des jeunes UDC montrant la chanteuse Amy Winehouse dans un état aussi hébété que délabré, avec le slogan «Une voix sans issue, non à la dépénalisation des drogues».
Une photo peu ragoûtante certes, mais si ça se trouve volée par un des paparazzeux confrères de Gala. Une affiche qui n’a pas non plus laissé indifférente la bien-pensance hexagonale de gauche — Les Inrocks, Mediapart, Libé. Pas mal pour une campagne que les professionnels d’ici, avec une étrange unanimité, estiment parfaitement ratée.
Que ce soit à l’Office fédéral de la santé publique ou dans les associations spécialisées de lutte contre la toxicomanie, les condamnations lénifiantes et sentencieuses continuent de pleuvoir dru. «Montrer une vedette dans un état déplorable, c’est stigmatiser les personnes dépendantes», «Une campagne choc s’estompe très rapidement dans l’esprit des gens. Cela peut les décourager d’aller chercher de l’aide», «Dans les autres pays comme le Portugal ou la Hollande, dès que l’on apporte des mesures d’aide aux toxicomanes, la consommation baisse», etc.
Tout cela sent quand même sa petite hypocrisie, son indignation un peu forcée, un rejet du message en raison du messager, l’UDC, ou parce qu’il touche à la sphère intouchable de la musique et du spectacle mondialisé ou pour dieu sait quelle autre mauvaise raison.
C’est encore le seigneur Rosselat du Paléo qui a trouvé le ton juste pour répondre: la provocation et le gros trait, tout en restant factuel, exactement comme l’affiche UDC, rappelant que la principale addiction dont souffrait l’amie Amy était l’alcool, un produit assez répandu, comme on sait, du côté de chez Logean, dans le Valais de l’arvine et de la poire William.
Autre voix sans issue, celle du Conseil fédéral et spécialement de son fantomatique ministre de l’économie Schneider-Ammann face à la crise du franc fort. Sans issue parce qu’inaudible, parce que se cantonnant dans un mutisme buté. Impossible, ainsi, de savoir ce que pense l’exécutif de l’équation rappelée par de nombreux commentateurs et experts: pour freiner la montée du franc, un moyen pas bête-pas-con serait peut-être de s’endetter un peu.
Il semble en effet que ce soit la vertu trop vertueuse des finances publiques suisses qui transforme sa monnaie en refuge universel — un endettement représentant 38% du PIB, contre 144 pour la Grèce, 118 pour l’Italie, 96 pour les Etats-Unis, 85 pour la France, 83 pour l’Allemagne, 64 pour l’Espagne etc.
Pas un mot non plus sur l’idée d’un taux de change spécial pour le tourisme ou l’économie d’exportation. Tout juste le ministre Schneider-Ammann consent-il à empiler les réunions silencieuses ou dire le mal qu’il pense de l’idée forcément gauchiste d’un rattachement du franc à l’euro: «Cela entraînerait une hausse des coûts en Suisse, une hausse de la TVA et établirait un lien avec l’Union européenne.» L’horreur, quoi.
Alors qu’avec la perspective actuelle d’un franc chatouillant la parité, ce sont les délocalisations, les suppressions massives d’emploi, les baisses de salaire, l’augmentation du temps de travail qui menacent. L’Union patronale a déjà prévenu qu’elle n’allait pas se gêner.
Politiquement, certes, il n’y a sans doute pas grand-chose à faire pour stopper la course folle du franc à travers champs. Mais est-ce une raison suffisante pour demeurer piteusement muet? N’est-ce pas le devoir et le rôle d’un gouvernement de parler fort dans la tempête même lorsqu’il n’a rien à dire? Comme autrefois, ainsi que le rappelle l’inimitable commentateur fédéral D.S Miéville, «on aérait en procession les saintes bannières pour mettre fin à la sécheresse ou à l’invasion des sauterelles. Cela calmait les esprits et mettait du baume sur les âmes».
Il faut enfin l’enthousiasme énamouré d’une rédactrice en chef pour voir un activisme salvateur dans la virée express de la présidente Calmy-Rey en casquette rouge et patriotique sur les lieux de la famine est-africaine, avant de rejoindre vite fait cette autre «place to be»: Locarno. Et écrire: «La valeur même de notre franc est dépendante du reste du monde. Avoir vu ce qui se passe ailleurs ne peut pas nuire.»
Les enfants ballonnés à morts de la corne de l’Afrique au secours du franc trop gras? On se pince. Mais le cauchemar continue. «Micheline Calmy-Rey sert son image en se rendant en Afrique, et alors?» Evidemment, si ce gouvernement, et sa présidente en sont là, au tréfonds du cynisme le plus étourdi, on imagine combien les désagréments liés au franc fort doivent les empêcher de dormir.
