LATITUDES

Coup de froid pour les télésièges suisses

Dépassée par l’industrie autrichienne, la Suisse a perdu son leadership sur le marché du télésiège, étroitement lié à l’image du pays. Avec le récent couac de Shanghai, le mythe s’est définitivement éteint. Histoire.

Inauguré en 1950, le télésiège du Weissenstein, dans le canton de Soleure, appartient aux années de gloire de l’industrie des remontées mécaniques helvétiques. Il s’est arrêté en novembre dernier. Il ne répondait plus aux dernières normes de sécurité.

Depuis lors, partisans et adversaires de sa rénovation se querellent. La NZZ a qualifié de «Kulturkampf» ce combat entre les «modernistes», avocats de la construction d’une remontée mécanique futuriste, et les «nostalgiques» des sièges en lattes de bois. Parmi des derniers, un comité «Pro Sesseli» a récolté des signatures et s’est approché des milieux de la protection du patrimoine, estimant défendre un «moyen de transport historique». Le feuilleton n’est pas terminé.

A Shanghai, les ministres Doris Leuthard et Moritz Leuenberger n’ont pu prendre place sur l’attraction principale du pavillon suisse lors de leur déplacement à l’Exposition universelle. Le télésiège a causé un accident début août (fracture d’un pied). Des milliers de visiteurs ont été privés du plaisir d’un voyage dans les airs. Les Chinois ont été déçus et l’orgueil suisse bien malmené.

Étonnement et ricanements accompagnent les nouvelles relatives à l’installation défaillante. Comment se fait-il que l’on soit capable, dans les Alpes, de monter des milliers de skieurs à plus de 3000 mètres et qu’ici, un mini parcours de quatre minutes sur le toit du pavillon pose autant de problèmes?

Une erreur d’appréciation des données climatiques serait à l’origine de ce couac. Chez le concepteur Swiss Rides, à Flums (SG), on explique qu’il a fallu concevoir un nouveau système de freinage pour garantir la sécurité et empêcher tout dérapage des sièges sur le rail porteur. Par temps de pluie, le télésiège ne fonctionnera pas, précise-t-on toutefois.

Question coup de frein, c’est toute l’industrie suisse des télésièges qui en a subi un durant ces vingt dernières années avec la vente ou la fermeture d’un grand nombre d’entreprises. La nation pionnière en la matière, mondialement connue pour ses moyens de transports motorisés partant à l’assaut d’espaces réservés aux chamois a été devancée.

Pendant des décennies, Von Roll régnait en maître incontesté et admiré de la branche. Aujourd’hui deux entreprises, Leitner (Tyrol du Sud) et Doppelmayr (Autriche), lui ont ravi cet enviable statut. Elles réalisent à elles seules les trois quarts d’un marché qui se chiffre par milliards. La dernière firme suisse, Bartholet Maschinenbau, doit se contenter de 10% de celui-ci (Swiss Rides est l’une de ses filiales).

«En matière d’innovation, nous étions imbattables», se souvient Hans Sägesser qui a travaillé durant quarante ans chez Von Roll. «Ce qui se faisait de plus long, de plus haut ou de plus fou, c’était des Suisses qui le réalisaient. Nos trouvailles ont révolutionné toute l’industrie des remontées mécaniques. Les nombreuses entreprises de chez nous entretenaient alors une saine rivalité et leurs patrons avaient des idées géniales», commentait-il dans la NZZ du 29 août dernier.

Sans la panne chinoise, j’aurais naïvement continué à croire que seuls les ingénieurs suisses savaient assurer efficacité et sécurité aux touristes gravissant sans effort les pentes des montagnes! Un cliché est tombé.