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Le triomphe de la droite BCBG alémanique

Les socialistes se retrouvent à la périphérie du Conseil fédéral. La gauche et les Romands ont eu la monnaie de leur fausse pièce. Pas sûr qu’il faille s’en réjouir outre mesure.

Christian Levrat se tord les mains et n’en revient pas. Pelli a trahi! Il est quand même très surprenant que cela surprenne encore le patron du PS. Croire à une promesse du grand sachem radical, du Machiavel de Lugano, c’est un peu comme embrasser une vipère sur la bouche et en attendre du bien.

Voilà pourtant une vieille loi de la politique politicienne: on finit toujours par recevoir la monnaie de sa pièce, surtout quand elle est fausse. Le PS avait cru malin d’aider à faire élire le vice-président d’economiesuisse Schneider-Ammann au Conseil fédéral. Quatre jours plus tard, par un subtil jeu de boomerang et de ricochets, mi-billard, mi-massacre, le voilà dépossédé de l’important Département des transports et de l’énergie (DETEC).

Un mammouth, le DETEC, exigé, ancienneté oblige, par une Doris Leuthard aux incisives de plus en plus proéminentes et dont le département de l’économie ne pouvait revenir qu’au chef d’entreprise Schneider-Ammann. Où l’on voit que l’ennemi vous est rarement reconnaissant de pactiser avec lui, surtout s’il est en position de force.

Réduite à gérer les Affaires étrangères et Justice et Police, voilà la gauche totalement neutralisée et coupée du front économique et social. Les grincheux et les rabâcheurs feront remarquer qu’avec le profil de la saint-galloise Karin Keller-Sutter, taillée pour Justice et police, une rocade aussi assassine n’aurait sans doute pas pu être manigancée si facilement. Mais voilà, de cette dame de fer-là, le pudibond PS et ses effarouchés amis n’ont pas voulu entendre parler.

Un bonheur n’arrivant jamais seul, cette droite alémanique, économique et traditionnelle — PDC, PBD ET PLR– plaisamment dirigée par deux latins fort périphériques, le valaisan Darbellay et le tessinois Pelli, complète ce triomphe par l’acceptation en votation populaire d’une réforme de l’assurance chômage rejetée en Romandie.

Il y a évidemment dans ce jawohl sonnant, humiliant comme une gifle en public, une bonne part d’égoïsme alémanique. Thomas Daum, directeur de l’Union patronale suisse, cite ainsi au rang de raisons qui ont creusé le fossé de patates, le fait que la révision promettait «d’abolir la règle de la prolongation exceptionnelle de la durée d’indemnisation, qui ne s’appliquait que dans certains cantons romands et pas en Suisse alémanique». Autrement dit la possibilité de passer de 400 à 520 jours d’indemnités. Plébisciter la suppression des avantages du voisin ne demande en effet ni trop d’état d’âme ni un excessif effort de réflexion: l’instinct des cavernes suffit.

Bien sûr les cantons romands sont en moyenne moins bien gérés que la plupart des cantons alémaniques, mais aussi plus sensibles et vulnérables aux hoquets conjoncturels. Certes, près de 7% de chômage à Genève et quasi zéro à Stans, Nidwald, la seule conjoncture ne peut expliquer un tel écart. Il faut bien admettre que le tissu social, le rapport à l’état, mais aussi l’ardeur des populations au travail ne soient pas tout à fait identiques.

Pourtant, n’en déplaise à nos amis d’outre-Sarine et d’outre-Centre, encore quelques votations de ce calibre et la peste belge ne sera pas loin de nous menacer. A savoir cette situation sans retour où le fédéralisme se dissout dans la simple loi du plus fort. Appenzell Rhodes-Intérieures: 72% de oui à la réforme de l’assurance chômage. Appenzell, sa landsgemeinde, son plein-emploi, son monde impitoyable.