KAPITAL

Les nouveaux chercheurs d’or

La crise suscite des vocations de chasseurs de pépites. Certains aventuriers arpentent les cours d’eau, à l’ancienne, d’autres vont se servir du précieux métal sur le toit des églises, grâce à Google Earth.

Au retour de leur aventure, Joël et ses deux enfants sont intarissables. L’espace de quelques heures, ils se sont mués en chercheurs d’or dans l’Enziwigger, un cours d’eau aurifère. Equipés de bottes, munis de tamis, ils sont revenus avec des paillettes dans une éprouvette et un diplôme de «Chercheur d’or».

Cet été, alors que le cours de l’or prenait l’ascenseur, un cadeau très prisé consistait à offrir à ses proches la possibilité d’aller jouer les orpailleurs. Ainsi, la petite cité lucernoise de Willisau a pris certains week-end des allures d’Eldorado avec des conquistadors se déplaçant à trottinette.

Le massif du Napf renferme de l’or charrié par les ruisseaux. Du métal précieux exploité activement durant les siècles passés, oublié, puis redécouvert aujourd’hui par des chercheurs d’un nouveau type.

L’orpaillage est en passe de devenir un nouveau loisir, un sport même, avec des Championnats suisses qui ont eu lieu à Bowill en juillet, et des Championnats du monde organisés en août dans le Piémont.

Les effets conjugués de la hausse des cours du métal précieux et de la crise incitent les plus démunis à vendre leurs bijoux de famille parce qu’ils manquent de liquidités. Par le biais d’annonces dans la presse, des «chercheurs d’or» les y poussent. L’or rapporte gros à des commerces spécialisés dans le rachat de bijoux et de montres usagées. Votre or les intéresse! «On voit arriver des gens avec un demi kilo de bijoux haut gamme», constate Yves Rochat, patron de la plate-forme de rachat bijouxor.ch.

Le marché est peu transparent. Les prix de rachat peuvent énormément différer, jusqu’à environ 25% entre les commerces. Afin de se prémunir contre d’éventuels chercheurs d’or pas toujours honnêtes, le magazine «Tout Compte fait» consacre, dans son dernier numéro, un article à ce sujet, «Transformer son or en argent». Sa conclusion: «De toute manière, il ne faut pas s’attendre à des miracles».

Christian Bonnet, le bijoutier neuchâtelois qui a lancé Gold&Cash explique la fascination pour l’or. «Quand vous avez un lingot d’or entre les mains, cela a un toucher particulier, un son particulier aussi, c’est un matière incroyable».

Si les hôtesses de charme qui travaillent en Suisse écoutent les conseils en placement de leurs clients banquiers, leurs matelas reposent sur des lingots. Lors d’un reportage dans un salon érotique de Genève, l’émission «Toutes taxes comprises» de la TSR a divulgué un secret qui mérite de sortir des alcôves. «Que faites-vous des 20 à 30 000 francs que vous gagnez par mois?», demande le journaliste. «Mes clients banquiers m’encouragent à acheter des lingots», confie, en petite tenue, une jeune femme.

Il est vrai qu’excepté lors de la crise de l’année dernière, le cours de l’or n’a jamais cessé de grimper depuis l’an 2000. Selon certains analystes, il pourrait dépasser les 1100 dollars l’once dans les mois à venir. Les spécialistes expliquent cette hausse par la faiblesse du dollar, la demande croissante des pays émergents et les craintes inflationnistes. Voilà une «relique barbare» (expression de Keynes pour qualifier le métal jaune) qui ne saurait mieux se porter!

Pas étonnant que pour s’emparer du précieux métal certains prennent des risques vertigineux en allant se servir sur les toits des églises. Google Earth fait office de tamis avec ses photos aériennes permettant de localiser les cibles les plus lucratives.

Pour l’heure, ces nouveaux chercheurs d’or sont essentiellement britanniques. En 2002, les assurances avaient enregistré 12 vols de métal (or et plomb) sur les toits, en 2008 on en était à 2500 et 2009 a vu le phénomène prendre encore de l’ampleur. Pour l’enrayer, l’Eglise d’Angleterre vient de recouvrir 33 000 des 44 000 toits de ses édifices d’une couche de peinture «nanométrique» visible uniquement sous ultraviolet. Le système appelé «SmartWater» a été développé par un ancien officier de police et son frère chimiste.

Chaque église a une variété différente de particules microscopiques qui lui confère un «label» unique. Cela permet à la police d’identifier la provenance des vols même après la fonte du métal. Trois hommes ont déjà pu être arrêtés grâce à ce processus. Ils étaient allés se servir sur l’Eglise St Leonard à Colchester.

L’assurance «Ecclesiastical Insurance» vient d’envoyer à toutes les églises un «SmartWater» kit, en avertissant les vicaires que, s’ils n’en faisaient pas usage, ils ne toucheraient pas plus de 5 000 livres en cas de vol.

Nous sommes en septembre, comme chaque année un petit écolier viendra me vendre un «Ecu d’or» que je m’empresserai de confier, non à mon banquier, mais à mon estomac. Le chocolat, une autre excellente valeur refuge quand les temps sont durs.