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Ouh, les méchants!

En période de turbulences, les politiques croient malin de jouer les durs. Pas toujours à bon escient, la preuve par Couchepin, Darbellay et les fuites du Conseil fédéral.

Bouter hors de Suisse les travailleurs de l’Union européenne, laisser mourir les malades incurables, ou ponctionner les bien-portants chaque fois qu’ils ont l’outrecuidance de sonner chez leur médecin: effet de la crise ou pas, le discours politique semble soudain se faire méchant. Comme une sorte de syndrome churchillien promettant, au milieu de la tempête, un flot de sang et de larmes. Histoire de faire peur juste pour le plaisir de faire peur, ou simplement se mettre au diapason du catastrophisme ambiant.

Évidemment, avec 200’000 sans-emploi annoncés pour 2010, soit 5% de la population active, l’idée de contingenter les travailleurs européens peut être tentante et le Conseil fédéral commence à la caresser. Sauf que ce remède prétendument miracle s’appliquerait majoritairement contre des pays avec lesquels nous nous trouvons déjà en plein bras de fer fiscal: la France et l’Allemagne. On imagine le bonheur de Peer Steinbrück, l’irascible ministre allemand des finances: au lieu des millions évadés promis, on lui renverrait des chômeurs!

La question soulevée par le président du PDC Christophe Darbellay – «Faut-il débourser 50’000 francs pour traiter un cancer lorsqu’il n’y a plus d’espoir?» – a semé la désolation surtout dans son propre camp, ce PDC profilé justement comme le défenseur patenté de la vie à tout prix.

Question unanimement qualifiée de «courageuse» par la presse, sans que l’on sache bien en quoi. Ce qui est sûr, c‘est qu’elle est politiquement très maladroite: tirer sur les fondamentaux de sa propre famille porte rarement bonheur. Un Sarkozy par exemple, en vrai politique, n’a jamais remis en question la plus idéologique de ses mesures, le bouclier fiscal, alors que l’immense majorité de la population et des médias l’en conjurent, et que cela aurait soulagé des finances publiques dévastées.

On a vu donc le petit monde démocrate-chrétien trépigner. L’inénarrable Jacques Neyrinck, devant une question aussi médiatiquement prometteuse, ne pouvait pas ne pas réagir. En suggérant, non sans bon sens, que la hausse perpétuelle des coûts de la santé n’était peut-être pas un problème, mais une fatalité, découlant simplement des progrès de la médecine et de l’allongement de la durée moyenne de vie. La conseillère nationale Thérèse Meyer s’émeut, elle, de voir lier coûts et fin de vie, rappelant qu’en toute logique, la dernière année d’un patient est celle qui génère le plus de frais médicaux et qu’il est bien vain de s’en étonner.

Mais c’est l’Eglise qui a réagi le plus clairement, par le médiatique porte-parole de l’Evêché de Fribourg, Nicolas Betticher. Lequel a brutalement résumé ce que tout député se faisant élire, comme Christophe Darbellay, sous l’étiquette démocrate-chrétienne devrait savoir ou, au moins, se demander. «On mesure la valeur d’une société à celle qu’elle accorde au plus faible.» Et de un. «Peut-on se baser sur un critère économique pour garantir le droit à la vie?» Et de deux. «Veut-on d’une société dans laquelle les malades disparaissent et les autres remplissent les caisses?» Et de trois, amen.

Quant aux fameux trente balles du docteur Couchepin, c’est bien simple, leur rejet s’avère massif, dans la population comme au sein du monde politique. Une telle unanimité ferait presque croire que, pour une fois, l’impopulaire Martignerain aurait touché juste.

La réunion de concertation qu’il avait organisé a d’ailleurs été boycottée aussi bien par les très gentils – Le Parti évangélique, les chrétiens-sociaux – que par les très méchants – l’UDC. Les autres ne sont venus que par politesse.

Il n’y a guère que Santésuisse, l’organe faîtier des assureurs, qui confesse pouvoir «vivre avec» cette taxe. On a rarement vu, il est vrai, une mesure de Pascal Couchepin mettre en colère Santésuisse. Entre méchants, on se comprend, on s’estime et surtout on partage la conviction que n’être pas gentil, ça finit toujours par payer.