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La gauche découvre l’insécurité. Trop tard

Pour s’être trop longtemps bouché le nez, le PS, avec son plan «Sécurité pour tous», ne pourra pas esquiver les reproches de populisme et d’électoralisme.

«Le PS n’a plus de tabou!». Il semble très content de lui, le président du parti socialiste, Christian Levrat, avec, cette semaine, l’annonce historique que l’on sait: le tournant sécuritaire du parti à la rose.

On pourrait en effet se réjouir que la gauche prenne enfin en compte une des préoccupations majeures de l’électorat: l’insécurité, et peu importe qu’elle soit plus ou moins fantasmée ou vécue dans les chairs.

Sauf qu’il arrive bien tard, probablement trop tard, ce virage du PS. Et que le mal est fait. Alors que la sécurité est historiquement et fondamentalement une valeur de gauche: on voit rarement les couches les plus aisées victimes de la délinquance au quotidien. De même, ce ne sont pas les beaux quartiers qui essuient concrètement les inconvénients immédiats liée à une immigration forte et difficilement assimilable — les migrants kosovars n’ayant par exemple pas pour habitude majoritaire de se loger à la Bahnhofstrasse.

Cette évidence (que ce sont les plus faibles qui se retrouvent naturellement les plus exposés à l’insécurité), Levrat la résume assez justement par la formule: «La sécurité est un service public». Pourquoi trop tard alors?

D’abord parce qu’à ce stade, et même si le président Levrat et la conseillère nationale Evi Allemann, auteure du plan «Sécurité pour tous», sont sincères, le PS ne pourra plus guère réfuter le double soupçon de populisme et d’électoralisme crasse: il a trop longtemps nié le problème, s’est trop longtemps bouché le nez devant des mots pourtant clairs et audibles, mais idéologiquement insupportables, ingérables pour un estomac formaté à gauche — répression, tolérance zéro etc.

Dans ce déni mécanique de tout problème sécuritaire, la base est au moins aussi coupable que les dirigeants. Cette base qui en 2002 s’était offusquée et avait fait des pieds et des mains pour édulcorer, jusqu’à le rendre creux et illisible, un chapitre sur la sécurité figurant dans la plate-forme électorale du parti.

Trop tard aussi parce que le thème a été phagocyté et durablement confisqué par l’UDC. Impossible désormais de s’aventurer sur le terrain sécuritaire sans paraître courir piteusement derrière Blocher et ses sbires. Ainsi le conseiller national Yvan Perrin se gausse-t-il à bon droit en déclarant «ne penser que du bien» du plan «Sécurité pour tous» présenté par le PS.

Trop tard, aussi, si l’on compare avec le chemin parcouru ces dernières années par la gauche européenne. En France par exemple, cela fait plus de dix ans qu’un Jean-Pierre Chevènement déclarait ouverte une chasse aux «sauvageons» sans complexe ni tabous. Plus de dix ans aussi que les travaillistes britanniques, Blair en tête, inventaient la troisième gauche, laminant le parti conservateur sur la base d’un cocktail lourdement répressif et d’une ligne dure en matière d’immigration.

Le débat interne au PS a déjà commencé et on peut craindre le pire. On voit d’abord Evi Allemann expliquer que cette révolution copernicienne est dû à la nouvelle génération d’élus socialistes, nés en gros après 1970 — par exemple elle-même ou la zurichoise Chantal Galladé — et donc entrés dans la vie active à un moment où la guerre froide s’achevait. Où le monde cessait de se décliner binairement en noir et blanc, à se diviser entre bons et méchants.

Une génération qui s’est frottée à la politique locale, et donc à l’écoute des gens, dotée d’un solide pragmatisme qui laisse peu de place aux vieilles idéologies pavloviennes. Sauf que l’ancienne garde élevée au petit-lait de la révolution permanente n’a pas dit son dernier mot.

La genevoise Maria Roth Bernasconi, se sentant sans doute visée, rétorque que cette affaire de politique sécuritaire réappropriée par la gauche n’a rien à voir avec une question de génération. Que des pragmatiques et des idéologues, il y en a toujours eu à parts égales au sein du PS.

Certes, mais c’est pourquoi sans doute il est déjà trop tard.