S’il est un procédé technique dont l’usage mérite d’être questionné, c’est bien le ralenti. Non tant pour lui demander de venir corriger des décisions arbitrales, mais pour mettre en lumière sa dimension manipulatrice. Avertissement.
Depuis l’avènement du numérique, les retransmissions de matches de football nous confrontent à un traitement des images axé essentiellement sur le ralenti. Permettre de revivre à satiété, dans une durée étirée, ce qui n’a été dans la réalité qu’un bref instant: le procédé (produit en accélérant la vitesse de prise de vues!) fascine.
Cette sophistication technologique des réalisations se fait au détriment de la dynamique spécifique du sport. «Le football télévisé est malade du ralenti», diagnostique Jacques Blociszewski dans «Le match de football télévisé», un solide travail critique sur le football télévisé, une lecture salutaire pour des téléspectateurs de l’Euro 2008 prompts à tomber dans les chausse-trappes tendus par leur petit écran. L’aveuglement guette…
Méfions-nous, les apparences sont trompeuses. Ainsi, on ne peut suivre une rencontre en direct à la télé. C’est à une dissection d’images que nous assistons. Le match est divisé en microséquences, avec un zapping incessant entre le direct et le différé.
Alors qu’installé dans son salon, le fan de foot s’imagine suivre la compétition mieux que dans les loges du stade, il voit la rencontre avec le regard d’un réalisateur soucieux prioritairement de l’audience. Il visionne, et revisionne un produit télévisuel.
Si le spectateur d’un match embrasse le terrain en un seul coup d’oeil, le téléspectateur en est bien incapable. La caméra lui impose un cadre. Le réalisateur opère des choix (quel champ, donc quel hors-champ, quand substituer le ralenti au direct, quels gros-plans, etc.) qui informent, déforment ou censurent.
Sur nos chaînes européennes, on compte aujourd’hui de 50 à 120 ralentis par match, soit environ 10% du match. La «loupe» s’est imposée, nous voici dans l’ère de la «dictature du ralenti», constatent les «Cahiers du football».
30 à 40% de ceux-ci montrent des fautes. On se donne rarement le temps de revoir la beauté et l’intelligence du jeu. On préfère s’arrêter sur les comportements contraires à l’éthique, les crachats, les simulations, les incivilités et les agressions. De la sorte, le réel disparaît sous le scalpel télévisuel.
L’illusion selon laquelle, grâce à l’image, on peut accéder immédiatement à la vérité entretient et aggrave, estime Blociszewski, la crise de notre relation au réel. Selon lui, prôner le vidéo-arbitrage, c’est tenter d’accéder au réel sans médiation autre que purement technique.
Le ralenti serait donc un exemple-type des dégâts causés par des technique souvent remarquables, mais dont l’utilisation est mal pensée et donc appliquée de façon dommageable. «L’abus des ralentis exprime une idéologie techniciste et une foi irrationnelle en l’image qui faussent les analyses et font croire à un progrès linéaire inconditionnel. La technologie de l’image progresse rapidement, mais elle ne permet pas pour autant d’accéder à la vérité du football», souligne le sociologue du sport (p.249).
Il y a vingt ans, l’excellent critique de cinéma qu’était Serge Daney soulevait déjà le rôle du ralenti: «Le ralenti de la caméra n’est qu’un truc. Conquis sur rien du tout sinon sur notre incapacité de plus en plus patente à ne plus rien discerner «en temps réel». C’est ainsi que les mouvements en «slomo» (slow-motion) esthétisent tout et dégoûtent de tout.» («Le salaire du zappeur», Ramsay, 1988, p.125).
Questionné à la même époque sur le rapport foot-télé, Jean-Luc Godard avançait: «La révolution en France, rien de plus facile, vous supprimez le foot à la télé, et les gens descendent dans la rue.» («Football et télévision», de Bernard Poiseuil, Tekhné, 1986, p.9).
Le ralenti conduirait-il à l’engourdissement des consciences?
