Quelle date deviendra la nouvelle référence futuriste? Geneviève Grimm-Gobat donne quelques pistes, sans conviction, et annonce la fin du post-modernisme.
Pour tous les humains nés ce siècle, l’an 2000 servait de référence. Cette borne temporelle symbolisait l’entrée dans un autre monde, le début de l’avenir.
A l’aube de la date fatidique, une question se pose pour nous tous: quelle sera la nouvelle référence futuriste? Y aura-t-il un chiffre qui, comme l’an 2000, canalisera nos espoirs, utopies et craintes?
Au fil de mes lectures, j’ai identifié quelques dates clé, dont voici la liste:
2024
L’art contemporain sera alors «fini et dépassé», selon un livre de Jean-Philippe Domecq.
2030
Un roman d’anticipation de Jean-Michel Truong, intitulé «Reproduction interdite», y situe le remplacement de l’homme par la machine.
2050
Dans les pays développés, nous serons tous myopes. C’est le résultat d’un calcul prévisionnel de Carolyn Fitz, dans un ouvrage intitulé «Les hommes préfèrent les myopes».
2070
Paris est devenue une oasis, selon le dernier film de Cédric Klapisch «Peut-être».
2070
Le soleil semble s’obscurcir et disparaître dans «Les soleils de l’Apocalypse» de Pascal Dhuicq.
2099
«C’est alors que les machines revendiqueront le droit à la conscience, et l’homme n’aura d’autre choix que de le leur accorder», prétend, mi-savant, mi-gourou, Ray Kurzweil dans «The Age of Spiritual Machines».
2099
«C’est arrivé en 2099» est le titre d’un dossier du magazine Marie-Claire qui a demandé à trois futurologues si nous aurons encore des bébés en 2099, si nous vivrons 120 ans, si nous serons clonés, hybridés ou greffés.
2100
2100.org est un site Web consacré au futur, dirigé par une équipe de scientifiques réputés. La pauvreté des projets, livres et conférences proposés résume le désarroi des futurologues.
Le constat est sans appel: dans l’inconscient collectif, aucune date ne parvient à symboliser une charnière comme l’a fait l’an 2000 pendant plus d’un siècle.
Discréditées par l’échec historique des idéologies, les utopies d’hier ont laissé place aux commémorations du passé. Terminées, les projections dans l’avenir! On leur préfère les voyages dans le déjà vécu. Le calendrier se lit désormais à l’envers.
Depuis les années 70, c’est le culte des anniversaires. On célèbre le dixième, le cinquantième, le centième de la naissance – ou de la mort – de tout ce que la planète a compté de célébrités, depuis Mozart jusqu’à Coluche. Et si le prétexte ne suffit pas, on peut toujours trouver d’autres dates historiques: Freud a fait la couverture de tous les journaux en novembre car on célébrait le 100e anniversaire de la sortie de son livre sur l’interprétation des rêves («La psychanalyse a 100 ans!» pouvait-on lire ici ou là). On en fait si possible une exposition, un concert ou une émission de TV pour enfoncer le clou.
Ce culte du passé a bien des avantages. A commencer par sa prévisibilité. Il permet de structurer le temps, de préparer les échéances plusieurs années à l’avance. En se projetant dans son passé, l’Homme se sent enfin maître de son avenir.
Une telle pratique semble trahir l’absence de but, de projet propre à l’ère post-moderne. Il y a un siècle, Baudelaire, Flaubert ou Manet voyaient dans les anniversaires une pitance pour les consommateurs plutôt qu’un aiguillon pour les créateurs. La modernité consistait à répudier les vieilles gloires de la culture officielle au lieu de les encenser.
Mais les avant-gardes se sont éteintes. Et aujourd’hui, les intellectuels ne se risquent plus à donner une forme à l’avenir. Ainsi que l’a observé Stephen Toulmin, «nous entrons à reculons dans l’avenir» au lieu de l’affronter en face.
Le post-modernisme ne sera heureusement pas éternel. Tout mouvement baptisé par rapport à celui qui l’a précédé sent sa fin planifiée. L’an 2000 pourrait bien jouer le rôle de cette célébration définitive, qui mettra un terme à tous les anniversaires. Ayant enfin liquidé notre bonne conscience avec le «devoir de mémoire», il s’agira d’activer notre «devoir d’espoir», et de tirer de nouvelles lignes pour notre avenir.
Espérons que, malgré la myopie prédite (année 2050), nous verrons assez clair pour dessiner, comme nos ancêtres, de belles utopies.
