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Une politique de comptoir

A manifester et trépigner chaque fois que Blocher se mouche, on creuse la tombe de la démocratie. Sous les applaudissements de l’UDC.

«Une journée nationale 100% sans Sarkozy dans les médias.» Décrétée par une association de défense de la démocratie, l’opération, perdue d’avance, aura lieu le 30 novembre prochain en France. Aussi perdu d’avance qu’un appel à une soirée sans Poutine à la télévision russe. Ou sans Blocher dans les médias suisses.

C’est dire où l’on en est arrivé. A ne plus même pouvoir tranquillement, démocratiquement, s’imbiber au comptoir sans tomber dans les pièges grossiers tendus par l’UDC. Blocher se déplace-t-il pour tâter le cul des vaches à Beaulieu et louer platement l’esprit d’entreprise, que le fascisme pointe le bout de son nez. Mais en face, chez les casseurs anti-blocher, cagoulés d’irresponsabilité, au cri inculte et paradoxale de «Nous sommes des antifascistes».

Certes il ne s’agissait que d’adolescents, mais leur bêtise à front de vachette venait couronner une manifestation aussi grotesque qu’inutile. A quand une marche silencieuse chaque fois que Blocher éternue, une marche blanche lorsqu’il se gratte le nez? L’organisateur de cette pantalonnade, l’avocat Jean-Michel Dolivo, de SolidaritéS, y trouve même matière à s’extasier sur «un nouveau phénomène de mobilisation» et cette jeunesse «qui exprime son ras-le-bol car elle se retrouve sans avenir, sans perspectives». Et de parler de génération «tout sauf Blocher».

Nauséabond, aussi, et fleurant tristement les années brunes, le propos rapporté du maire de Genève Patrice Mugny dans la Tribune du même nom: «L’UDC pue.» A ce rythme, cela devient décidément trop facile pour la clique blochérienne.

Tellement facile que les autres formations n’existent plus, avec une mention particulière pour les radicaux qui n’en finissent pas de dégringoler — on les annonce, camouflet suprême, derrière le PDC. Fulvio Pelli, leur président excédé, ne sachant plus comment intéresser médias et citoyens, craque devant la presse: «Qu’est-ce que je dois faire? Attaquer un conseiller fédéral, insulter mes collègues au Parlement, créer un scandale artificiel?»

Tout à fait Fulvio, puisque à ce stade, la politique n’a plus droit de cité. Les mêmes, souvent, qui s’étranglent au moindre pet de travers en provenance de l’UDC, vous expliqueront aussi que les autres formations sont nulles à pleurer, sans proposition ni talent pour les vendre. On se gausse des programmes sans saveur, imagination, audace ni couleur, on vilipende socialistes, PDC et radicaux pour leur platitude. Avec, en arrière fond, une admiration non dite pour les méthodes de gangster de l’UDC.

Les partis modérés il est vrai fournissent souvent eux-mêmes les verges pour qu’on les batte. La gauche avec ses cris d’orfraie automatiques et répétitifs sculpte mécaniquement la statue du commandeur Blocher, tandis que la droite, tétanisée de compromission et de pleutrerie, fonce dans chacun des panneaux blochériens.

On a vu ainsi PDC et radicaux s’allier au UDC pour passer outre l’avis d’une commission parlementaire qui déclarait impossible de mettre en musique législative l’initiative populaire acceptée par le peuple en 2004 sur l’internement à vie des délinquants dangereux. Une initiative contraire au droit international, notamment la déclaration universelle des droits de l’homme. Toutes les dernières initiatives lancées par l’UDC sont à peu près, volontairement, dans ce cas. Une manière, en opposant chaque fois peuple souverain et droit international, de jouer sur le fantasme des juges étrangers et d’engranger les suffrages d’un nationalisme de bistrot.

Si la politique n’avait point cédé le pas à l’émotion primale, à la colère infantile, à la peur honteuse des urnes, il serait facile de répliquer, comme ce vieux sage de François Gross dans Le Temps, «qu’il est pourtant des valeurs qui s’imposent au souverain quel qu’il soit, s’il ne veut pas dégringoler au rang de tyran».