Après l’ère du «comment réussir» se profile celle du «comment rater». Les guides de l’échec se multiplient, et ce n’est pas seulement une affaire d’ironie.
Paul Watzlawick vient de mourir à l’âge de 86 ans. Ce psychothérapeute autrichien, devenu chef de file de l’Ecole de Palo Alto, est considéré comme le père de la thérapie familiale brève.
Dans les années quatre-vingt, il publiait «Faites vous-même votre malheur» et «Comment réussir à échouer», deux parodies toniques des livres de conseils pratiques.
Depuis leur critique avant-gardiste par Watzlawick, les titres comportant «Comment réussir … » ont crû à une vitesse exponentielle. Avec leurs rayons comptant mille et un ouvrages de recettes, les librairies se sont transformées en pharmacies.
Il n’est désormais plus d’étape de notre vie qui ne puisse être franchie allégrement, un manuel adéquat en mains. Des premiers pas à la maternelle jusqu’à la mort, en passant par les traumatismes de l’enfance, les rencontres sur internet, le mariage, la nuit de noce, l’éducation des enfants, le divorce, le second mariage, la garde alternée, les négociations, l’entretien d’embauche, les placements ou les problèmes de poids, tout réussit sans peine grâce à la lecture du livre qui s’est penché sur le problème.
Le véritable défi consisterait-t-il dès lors à parvenir à rater quelque chose? Voici que sortent de presse des ouvrages qui semblent être de la veine de ceux de Watzlawick: «Comment rater sa psychanalyse», «Comment rater une vente», «Comment rater l’éducation de votre enfant», «Comment rater complètement sa vie en onze leçons», «Comment rater son site internet».
La similitude avec les travaux du penseur de Palo Alto se limite, à quelques exceptions près, au titre. Pas trace ici d’un quelconque «droit à l’échec» (Sarkozy ne parle-t-il pas de devoir de réussite?) ou d’autodérision mais, toujours et encore, la quête obnubilée de la réussite. Seul diffère son accès.
Connaître les voies du ratage permet de les éviter, donc de réussir! Tout ce que les précédents bouquins avaient permis de réussir va-t-il être réédité sous forme d’autant de manuels de ratage à lire au second degré?
Si rater son bac ou son mariage sont choses aisées, il est des domaines où, même en étant nul, le succès semble néanmoins assuré. Avec des appareils de photos numériques et des GPS, il devient difficile de louper ses photos ou de se perdre. Le «Manuel de la photo ratée» et le «Guide pour se perdre en montagne» volent à notre secours et sont à lire au premier degré.
Ce manuel de la photo ratée est décalé, plein d’humour. On y apprend à réussir les plus jolies photos ratées. Il indique au photographe comment reproduire un certain nombre de ratages typiques comme le flou, le bougé, la sous-exposition, le doigt devant ou les yeux rouges. Emblématique de cette nouvelle approche, la caméra russe Holga 120 SF suscite un véritable engouement en garantissant des photos ratées. Ses caractéristiques: mise au point pas nette, vignettage et surexpositions possibles, boîtier pas étanche à la lumière.
Difficile également de rater son objectif avec les GPS qui nous guident et nous renseignent sur notre position. On ne se rue pas encore sur des boussoles faussées mais en attendant, on peut lire ce «Guide pour se perdre» dont la lecture assurera notre égarement.
