LATITUDES

Le PowerPoint Karaoke envahit la scène

Accusé de formater la pensée, le logiciel favori des conférenciers a donné naissance à une nouvelle forme de spectacle d’impro. Un mouvement ironique qui essaime de Berlin à Zurich.

«Comme avec de la mauvaise pop, on peut vraiment s’amuser avec PowerPoint», explique Holm Friehe, coorganisateur du premier PowerPoint Karaoke.

Cette nouvelle forme de happening est née le 25 janvier 2006 au NPI-Club, une boîte de nuit berlinoise.

Son principe: les candidats doivent improviser, durant cinq minutes, une présentation sur la base d’un document PowerPoint (logiciel de Microsoft utilisé pour les conférences) pêché au hasard sur internet. L’objectif: donner l’impression que l’on maîtrise son sujet tout en amusant l’auditoire.

Les sujets: un large éventail de thèmes aussi disparates qu’absurdes ou inintéressants allant des «Relations de la chambre du commerce et de l’industrie de Bochum avec la Chine» à «L’élevage de la volaille depuis 1851». Un jury est chargé de juger les prestations.

On l’aurait deviné, c’est une critique du fameux logiciel de Microsoft qui est à l’origine de cette initiative.

«Ceux qui utilisent PowerPoint ne savent la plupart du temps pas parler librement devant les autres. Ils cherchent à donner l’impression de maîtriser un savoir, à donner à leur propos une autorité et une crédibilité qu’ils n’ont pas forcément. Ce n’est pas un hasard si Colin Powell s’était appuyé sur une présentation PowerPoint pour défendre l’intervention militaire en Irak devant le Conseil de sécurité de l’ONU», estiment les membres du collectif Zentrale Intelligenz Agentur, des écrivains, des artistes et des journalistes.

Si PowerPoint est devenu le medium du XXIe siècle, son emprise a été d’emblée fustigée par de rares résistants dont voici quelques morceaux d’anthologie.

En 2001, Ian Parker, un journaliste du New Yorker, écrivait: «L’omniprésent logiciel n’est pas à ranger dans la catégorie des outils. PowerPoint est plus proche d’un habit, d’une voiture ou de la chirurgie plastique. Vous le prenez avec vous, vous êtes jugé à travers lui, vous insistez même pour être jugé ainsi. C’est par définition un instrument social.»

En 2003, c’est un spécialiste des sciences de la communication, le professeur Edward Tufte de l’Université de Yale, qui signait, dans le magazine Wired un article intitulé «PowerPoint est nuisible. PowerPoint corrompt». Il y comparait l’usage de ces présentations à une drogue agréable pour le conférencier mais fatale pour son public.

Depuis, d’autres têtes pensantes ont lapidé PowerPoint, dénonçant qui son «effet anesthésiant», qui «le cache-sexe de l’incertitude» qu’il est devenu ou l’assimilant même à une nouvelle forme de religion.

«Si la religion était l’opium du peuple, PowerPoint est celui du cadre», lit-on dans le pamphlet «Devenez beau riche et intelligent avec PowerPoint, Excel et Word» de Rafi Haladjian, un pionnier d’internet.

Après avoir essaimé en Allemagne, l’expérience parodique berlinoise de PowerPoint Karaoke débarque maintenant en Suisse. Les organisateurs des premières soirées suisses sont Beat Sprenger, 28 ans, informaticien, Mathias Frei, 27 ans, étudiant en histoire et Ivo Engeler, 28 ans, ingénieur en environnement. Mathias et Ivo viennent de l’univers du slam.

Nettement moins critiques que leurs homologues allemands, les organisateurs alémaniques estiment que «PowerPoint est un programme très utile, facile à appliquer et idéal pour une conférence» (interview de Beat Sprenger parue dans e magazine Annabelle 4/07).

Quant à Ivo Engeler, il attribue aux soirées PowerPoint Karaoke une vertu pédagogique: «C’est l’occasion de s’entraîner pour améliorer ses compétences professionnelles.»

Parodies caustiques en Allemagne, les soirées PPK semblent devenues bien conciliatrices en traversant la frontière. Seraient-elles sponsorisées par Microsoft? La prochaine est programmée le 23 mars au Tap Tab Club de Schaffhouse.