Un peu partout, le territoire de l’obscurité recule sous l’assaut des éclairages artificiels. La pollution lumineuse devient un enjeu écologique — et politique.
La publicité géante (163m sur 163m) pour les remontées mécaniques de l’Engadine s‘est éteinte prématurément. Projetée de nuit sur la paroi rocheuse du Piz Corvatsch, elle aura permis à ses opposants de mettre en lumière un phénomène inquiétant: la disparition de la nuit.
Dans toute la Suisse, il n’y a aujourd’hui plus une seule parcelle de ciel qui ne soit pas touchée par une source de lumière artificielle. En Europe, 20% de la population ne peut plus admirer la Voie Lactée. Les nuits noires sont menacées à l’échelle de la planète entière. Des prises de vue par satellite en témoignent.
Chaque soir, au crépuscule, le soleil est ainsi relayé par diverses formes d’éclairages qui créent un halo lumineux au-dessus de l’horizon. Le territoire de l’obscurité recule. Quantité d’études ont montré l’immense gaspillage lié à ce phénomène, et ses conséquences dramatiques pour la faune, la flore et les humains.
Les premiers à s’en préoccuper ont été les astronomes. Ils ont nommé «pollution lumineuse» ce délire d’illuminations qui les empêche d’observer des corps célestes et rompt l’alternance jour/nuit .
Aujourd’hui, la défense de la nuit est menée par des milieux de plus en plus larges. Elle a même gagné le monde politique.
«Je ne réclame pas l’extinction totale des feux, mais une meilleure conception de l’éclairage, déclare Arnaud Zufferey, de l’association International Dark-Sky, qui plaide pour la préservation des paysages de nuit. Les communes devraient s’équiper de luminaires éclairant vers le bas, diminuer l’intensité des ampoules et limiter l’éclairage dans le temps. En Europe, les villes qui ont pris de telles mesures ont fait 30 à 75% d’économies sur leur budget annuel dédié à l’éclairage extérieur» (lire «Où sont passées les étoiles?», son interview parue dans «La Salamandre» de janvier 07).
La République tchèque est le premier Etat à avoir voté, en 2002, une loi combattant ce type de pollution bien moins médiatisé que la pollution chimique. Elle stipule, en autre chose, que tout éclairage extérieur doit être pourvu d’une coiffe empêchant la diffusion du flux lumineux vers le ciel et que l’intensité lumineuse doit être réduite de 30% près minuit.
Deux régions italiennes, quelques Etats américains ainsi que des villes françaises, japonaises et britanniques lui ont emboîté le pas en votant des règles similaires. L’International Dark-Sky Association (IDA) tente de faire classer le ciel nocturne en tant que patrimoine de l’humanité auprès de l’UNESCO qui, en 1992, dans la «déclaration des droits pour les générations futures» avait consacré un volet spécifique au droit et à la conservation du ciel et de sa pureté.
Florence, l’héroïne de «Chemins de fer», le dernier roman de Benoît Duteurtre, fait entrer en littérature l’allergie à la pollution lumineuse.
Un gigantesque réverbère vient d’être planté en rase campagne devant sa maison isolée. D’emblée, elle a détesté ce lampadaire, puis, «je me suis révoltée en songeant à cette lumière absurde devant ma terrasse. Depuis quelques années, le long des routes désertes et dans les plus paisibles coins de campagne, l’éclairage public jette partout sa lumière blafarde. Après avoir fini d’équiper les villes, les bourgs et les banlieues, les professionnels ont découvert ce nouveau débouché pour leurs activités et créé artificiellement un marché — tellement inutile qu’il leur fallait créer le besoin. Avec les méthodes propres à «l’esprit d’entreprise», ils flattent les maires pour écouler leur marchandise, tout en déployant un accompagnement idéologique («sécurité», «modernité») qui permet aux esprits simples de voir dans ces transformations une marque de progrès…»
L’appel du progrès semble bien irrésistible. Dans la région où j’habite, il débarquait il y a trois ans avec l’éclairage moche d’une petite église par des spots blafards, suscitant en moi les mêmes réactions allergiques que Duteurtre prête à son personnage…
