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Les petits veinards de la rentrée scolaire sont bien à plaindre

Pommes vertes obligatoires à la récré, uniformes, vidéo-surveillance, classes prioritaires… On nous prépare une école à la Orwell. A quand la réintroduction du knout?

De vrais petits veinards. On veut parler des élèves qui fréquentent les écoles suisses en cette rentrée 2006-2007 et sur lesquels se focalisent toutes les attentions. Louables attentions dictées par des intentions tout aussi louables — pacifier une école supposée à feu et à sang.

En Thurgovie, c’est de leur santé qu’on s’inquiète: ni graisses, ni sucres à la récré, rien que du bon, du bio, du sain, du fruit. Juste de quoi, pesteront les cancres, rendre un peu moins festives ces courtes respirations dans le pensum scolaire. Des cancres qui ne s’en précipiteront pas moins vers le premier kiosque, le premier McDo venu, dès qu’aura sonné la cloche qui n’existe plus, et que, tiens, personne n’a encore proposé de réintroduire, tellement plus solennelle et autoritaire, pourtant, que les gongs électroniques.

A Bâle, il est question de ressortir des placards l’uniforme scolaire, histoire entre autres de freiner la course aux marques qui vident les goussets parentaux. C’est oublier là encore que l’école finalement n’occupe qu’un petit tiers de la vie des mômes, et qu’entre le kiosque et le fast-food, il y a souvent un souk à fripes des plus branchés.

On peut parier que ces deux mesures n’auront aucune incidence sur la santé des élèves ni sur le porte-monnaie de leurs géniteurs mais qu’en revanche, elles rendront encore un peu moins attrayant un quotidien scolaire jugé de plus en plus répulsif.

Les Genevois, eux, avant de voter sur un retour des notes, ont droit au REP — le Réseau d’enseignement prioritaire. Encore une noble et belle invention, pleine de sollicitude: sept établissements réputés difficiles mais où, désormais, les élèves bénéficieront d’un encadrement et d’un suivi plus systématique et attentif. Si les politiques battent des deux mains, les enseignants en revanche ne sont pas vraiment chauds et évoquent un risque de stigmatiser des élèves déjà défavorisés en les coiffant de l’officiel bonnet d’âne REP. De les montrer trop ostensiblement du doigt en quelque sorte, même si ce doigt-là se veut coup de pouce.

Vaud n’est pas en reste dans cette rage d’innovations scolaires tape-à-l’œil, avec, au collège primaire de Lutry-sur-Bronx, l’introduction de caméras de surveillance. Le syndic Willy Blondel l’affirme: le système a fait ses preuves dans la lutte contre les déprédations, les violences, le racket et les incivilités.

Anne-Catherine Lyon, la cheffe du département, est contre, semblant préférer, autre innovation, ou plutôt autre grand retour, un cours d’éducation civique où les jeunes barbares seront initiés «à l’analyse des problèmes complexes de la société, sous les angles non seulement civiques mais aussi éthiques, culturels, juridiques, économiques et environnementaux».

Cela fait peut-être un peu beaucoup, mais certains parents, non sans raison, à Lutry et ailleurs, ont déjà souligné que la surveillance vidéo était «une solution de riches» et surtout une façon de ne pas vouloir traiter et affronter les problèmes du préau. Même si ces problèmes, comme on l’apprend cette semaine, peuvent aller jusqu’au viol d’une fillette de cinq ans par des monstres encore imberbes.

Si l’on fait, en tout cas, la synthèse des diverses réformes ou projets de réformes scolaires, on obtient un drôle de tableau: un élève sous l’œil permanent des caméras, qui ne mange que des pommes vertes mais est gavé de beaux discours sur son futur rôle de citoyen modèle, tout cela sanglé dans un bel uniforme et entouré d’orienteurs, psychologues et autres bonnes gens penchés sur son mal-être.

Un tableau qui évoque plutôt le roman catastrophiste à la Orwell ou «Le Meilleur des mondes» d’Aldous Huxley qu’un système d’éducation serein et sûr de ses valeurs d’érudition et de liberté.

Pour autant est-il bien raisonnable d’appeler de ses vœux un retour à l’école de Marcel Pagnol? De brandir, comme Alain Morisod, en «une» du Matin, son carnet scolaire fripé, maculé de bonnes vieilles notes à l’encre rouge, en estimant que ces gosses, quand même, on les pouponne beaucoup trop?

Faut-il vraiment oublier d’où vient l’école d’aujourd’hui? Pourquoi ne pas plaider tant qu’on y est, pour la réintroduction des châtiments corporels? L’agence Chine Nouvelle, qui semble toujours s’être appelée ainsi, nous apprend que le Parlement chinois, dont on sait toute la scrupuleuse attention qu’il porte aux droits de l’individu et à la dignité de la personne, est en train de légiférer pour interdire officiellement aux enseignants «d’insulter et frapper les élèves.»

De quoi rafraîchir quelques mémoires et tempérer certaines nostalgies.