Un tabou se brise. L’infertilité sort de la sphère intime et devient sujet littéraire, feuilleton et même comédie musicale. Les couples qui y sont confrontés n’hésitent plus à parler de leur parcours du combattant.
«Mon fils a des spermatozoïdes pas assez mobiles. Ils ont essayé de la PMA (procréation médicalement assistée, ndlr) à trois reprises et ils ne sont pas prêts à recommencer. Quant à ma fille, elle ne désire pas d’enfant. C’est donc pas demain que je serai grand-père», me confie spontanément le libraire à qui je demande les deux bouquins qui viennent de paraître sur les problèmes de stérilité dans le couple.
«Décompte», de Sophie Chabanel, et «Descendance», de Jean-Paul Carminati, sont un témoignage au féminin et l’autre au masculin sur la souffrance de ne pas pouvoir donner la vie.
Ecrit à la première personne du singulier, sous forme de journal de bord, «Décompte» nous entraîne dans le parcours émotionnel en montagnes russes d’une jeune femme pour qui l’existence n’est plus que l’antichambre de la grossesse espérée:
«Confirmation ce matin que je ne suis pas enceinte. Effarant que cette attente rythme à ce point mon existence, après deux mois seulement. Une trinité obsédante: quel jour les prochaines règles? A partir de quand commencer à y croire? Quelle fenêtre d’opportunité (ou de tir!) pour les rapports sexuels?»
Le cerveau de Marie est paramétré en base vingt-sept. Elle n’est plus ni en 1999 ni dans sa trentième année, elle est au jour sept du troisième cycle. Le point zéro n’étant «ni la naissance du Christ, ni la fuite de Mahomet, ni l’éveil de Bouddha, mais le clac de la poubelle de la salle de bain se refermant sur la dernière boîte de pilules.»
A longueur de journée elle doit se protéger des autres et de leurs commentaires, y compris ceux de belle-maman qui reproche obstinément à son fils de ne pas se décider à avoir un enfant. «Certains jour, j’ai envie de lui envoyer une cassette vidéo de nos ébats!».
Un traitement s’impose, «nettement plus compliqué que le mode d’emploi d’une machine à laver». Médicaments, piqûres de stimulation, échographie, piqûre de déclenchement et rapports sexuels dans les heures qui suivent. Attendre, rêver d’un test positif, s’effondrer, attendre, réanimer l’espoir, Marie se bat.
Le 7 février 2002, elle écrit: «J’ai toujours pensé que je préférais être une femme, mais maintenant j’ai changé d’avis. J’aurais préféré être un homme stérile plutôt qu’une femme stérile. Un homme stérile, cela ne change presque rien. Pour peu que sa femme ait la délicatesse de le tromper, il peut même ne jamais le savoir».
L’autre livre, «Descendance», peut se lire comme un démenti de ce que Marie suppose. Les hommes souffrent autant que les femmes. En se mariant, Jean-Paul et Maggy avaient décidé de faire des enfants, trois si possible. Lorsqu’il y repense, Jean-Paul n’aurait pu imaginer qu’autant de médecins et de fonctionnaires scrupuleux se mêleraient de leur projet, qui s’est mué en une épopée. Une attente à rendre fou. Celles et ceux qui sont passés par là s’y reconnaîtront — un couple sur six –, les autres ne peuvent que compatir
Aux Etats-Unis, les cliniques d’infertilité prospèrent, les parents inféconds font leur coming out. Le sujet s’est même déjà transformé en feuilleton télévisé. NBC diffuse une série intitulée «Inconceivable», une sorte d’«Urgences», qui se déroule dans une clinique spécialisée dans les problèmes d’infertilité.
L’hiver dernier, à Broadway, on a bien ri grâce à «Infertility», une comédie musicale «hard to conceive», qui suit les tribulations de cinq personnages rêvant de procréer. Le scénario se réfère au propre vécu de l’auteur, Chris Neuner, et de sa femme Amy. Le titre des chansons: «I’ve Got Sperm In My Pocket and I’m Talkin’ to Eileen », «Adoption Interrogation», «Finding a Father», «You’ve Got Parts», sans oublier l’aria «Il Mio Sperma Funziona Nell’Abondanza».
L’infécondité semble au moins fertiliser la création…
