Pour drainer un maximum de fonds, les appels à la générosité du public se concentrent sur l’aide à une seule personne plutôt qu’à une cause ou un groupe. Une étude confirme l’efficacité de la démarche.
Les œuvres d’entraide n’ont pas attendu la confirmation scientifique d’un phénomène qu’ils supputaient pour se lancer vers une nouvelle forme de sollicitation. Depuis quelque temps, ma boîte aux lettres réceptionne quantité d’appels à l’aide orientés vers une seule victime bien identifiée.
Ainsi, «Procap» nous plonge dans l’histoire de Yannick, atteint d’une atrophie musculaire. Description de sa famille, de ses loisirs et animaux de compagnie ainsi que trois photos nous font entrer dans son univers. Le demi million de personnes handicapées dont se préoccupe l’association n’est que succinctement évoqué.
La Société suisse de la sclérose en plaques donne la parole à Niklaus, 45 ans, atteint de la maladie depuis 22 ans. Il évoque les répercutions de sa situation dans sa vie familiale et professionnelle. C’est lui qui s’adresse à la «Chère Madame» que je suis: «Je fais en conséquence appel à votre sensibilité et à votre générosité».
Dans une lettre au timbre cambodgien et à l’adresse manuscrite, je découvre une minuscule béquille en bambou ainsi que la photo et le message de la petite Mom. C’est «Handicap International» qui tente de susciter un geste de ma part.
La Ligue suisse contre le cancer décrit les visites de Lara, une fillette de 7 ans, à l’hôpital où se trouve sa maman, atteinte d’une leucémie. Lara a adressé son désir le plus cher au Père Noël: «S’il te plaît, fais que maman revienne à la maison pour Noël.» Un bulletin de versement est joint à ce témoignage émouvant.
Ces quelques exemples d’appels à la générosité illustrent le quasi abandon des données chiffrées et autres graphiques catastrophistes au profit de la description d’un malheur bien personnalisé. Une évolution rentable, si l’on se fie aux connaissances acquises récemment en matière d’acte compassionnel.
L’étude de Tehila Kogut et Ilana Ritov montre clairement que, lorsqu’il s’agit de susciter la générosité, c’est en demandant des fonds pour une victime en particulier, avec photo à l’appui, que l’on obtient le plus d’argent.
Lancer l’appel pour un groupe de victimes, même photographié, permettra de récolter nettement moins de fonds. L’identification à un cas individuel se révèle émotionnellement beaucoup plus forte que l’image, plus anonyme, d’un groupe.
Réunir dans un même document la victime et le groupe, puis inviter les donateurs à choisir entre les deux, favorise en revanche le groupe. Dans le premier cas, il est fait appel à l’émotion, à la compassion, insensible aux chiffres mais qui suscite la générosité. Dans le second cas, l’obligation de comparer et de choisir sollicite la raison.
L’année 2005 aura permis de constater combien la générosité opère des choix inégaux. Les vies humaines ne pèsent toujours pas le même poids. La compassion dépend non des besoins réels à couvrir mais d’un sentiment de proximité à l’égard des victimes. Au 18ème siècle, Adam Smith le relevait déjà dans sa «Théorie des sentiments moraux». La conscience planétaire de solidarité n’est pas encore née.
Ainsi, les victimes du tsunami de l’an dernier se trouvaient sur des lieux touristiques fréquentés par des occidentaux, d’où une identification possible et une empathie sans précédent. Les victimes du tremblement de terre au Cachemire se trouvent, elles, dans une région soupçonnée d’être un repaire de terroristes, d’où l’absence d’élan de solidarité.
Pour Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), c’est un cercle vicieux, puisque «l’intérêt médiatique suit naturellement cette tendance, et du coup peu d’images de Cachemiris dans le besoin sont proposées».
