LATITUDES

Pourvu qu’on ait le flacon

En présentant un même vin avec des étiquettes différentes, des chercheurs ont mis en évidence l’incroyable influence des préjugés sur le goût: il suffit d’inscrire «vin de table» sur une bouteille pour que le contenu deviennent moins bon… Edifiant.

Voici une histoire à raconter à ses convives après les avoir entendus faire l’éloge de votre cave à grands renforts de termes choisis. Ceux qui y seront allés à l’esbroufe y prendront une leçon de modestie.

Des chercheurs de l’Institut national français de la recherche agronomique (INRA) et de la faculté d’œnologie de Bordeaux ont soumis, à leur insu, une dégustation originale à 57 étudiants en œnologie: «Le même vin a été proposé dans une bouteille d’un grand cru classé, vin prestigieux et connu de tous les dégustateurs puis, quinze jours plus tard, dans une bouteille étiquetée sous la triste dénomination « vin de table ».»

Sur les 57 étudiants, 6 seulement ont deviné la supercherie. Parmi les 51 restants, 50 ont noté plus sévèrement le dénommé «vin de table» (moyenne 8/20) que le dénommé «grand cru» (moyenne 13,2/20).

De plus, le comportement des dégustateurs apparaît très différent vis-à-vis des deux vins. Si le «petit vin» est jugé sans retenue, le «grand vin» est traité avec égards et systématiquement excusé. Face à certains défauts, plusieurs dégustateurs sont même allés jusqu’à mettre en doute leurs capacités à déguster un si grand vin.

Mais le sujet d’étonnement ne s’arrête pas là. Le vin utilisé n’avait jamais été mis en contact avec des fûts de bois. Qu’à cela ne tienne, la majorité des dégustateurs ont signalé la présence de fragrances «boisées» dans le grand cru et sont même allés jusqu’à décrire le type de boisé perçu. Aucun dégustateur n’a signalé la présence d’un caractère boisé dans le vin de table…

Les scientifiques sourient des commentaires définitifs de certains critiques qui oublient que leur nez est trompeur et leur cerveau un grand maître d’illusions. «Cette illusion de la présence du caractère boisé dans le grand cru résulte typiquement d’une construction cognitive», expliquent les chercheurs de l’INRA.

«Un jour, je me suis aperçu que tous les vins rouges présentaient des arôme de fruits ou d’épices de couleur rouge; et les vin blancs, des choses blanches. J’ai trouvé ça bizarre», reconnaît Gil Morrot, chercheur en neurosciences à l’INRA, auteur d’une expérimentation machiavélique. Son objectif: prouver que notre nez est l’esclave de nos yeux et que ce que nous croyons respirer dans notre verre provient de notre imagination.

Il a demandé à 54 étudiants en œnologie de commenter deux vins, un rouge et un blanc. Le vin rouge fut connoté «cassis», «framboise» ou «cerise» (entre autres), tandis que le blanc s’apparentait à la catégorie «floral», «pêche», «miel» et à toutes sortes de fruits blancs. En réalité, c’est le même vin – blanc -, l’un teinté avec d’insipides et inodores composés colorants, des anthocyanes, qui avait été servi!

«Il suffit donc de colorer un vin blanc en rouge pour qu’il ait une odeur de vin rouge et que, de plus, il perde son odeur de vin blanc», commente le scientifique. «J’ai répété l’expérience une vingtaine de fois, raconte Gil Morrot. Et, dans chaque groupe, il y a toujours quelqu’un pour soutenir que le colorant a une odeur et qu’il la reconnaît. Alors, je lui fais sentir les deux vins en verre opaque, et il n’arrive plus à retrouver cette différence qui lui paraissait pourtant évidente quand il avait accès à la couleur.» Belle démonstration: la perception gustative d’un vin ne dépend pas uniquement du contenu de la bouteille.

Le jugement artistique échappe-t-il à cette sorte d’effet placebo? Je viens de voir un film complètement banal élevé au rang d’œuvre géniale par la critique. La notoriété de son réalisateur n’a-t-elle pas fait office de flacon? C’est une autre histoire…