Longtemps, la tradition occidentale a interdit aux hommes de fondre en larmes. La situation s’est inversée. Pour réussir, il faut désormais montrer ses émotions. Une étude anglaise révèle ce qui fait sanglotter les mâles.
Il y a quatre ans, les femmes découvraient avec stupéfaction des sortes de mutants: les hommes qui pleurent. Le phénomène s’est amplifié. Désormais, les mâles qui gardent les yeux secs se font rares et n’ont plus vraiment la cote.
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A Athènes, l’athlète qui restait de marbre pendant la remise des médailles passait presque pour un rustre. C’est que la fonction lacrymale est en pleine période de valorisation chez les hommes. Pour réussir, il faut désormais montrer ses émotions.
Selon Patrick Lemoine, auteur du «Sexe des larmes», c’est faute de l’avoir compris que Lionel Jospin, par exemple, aurait été éjecté de la scène politique française. La preuve, «le 21 avril au soir, il n’a même pas versé une larme après avoir pris la claque de la décennie. Il n’est pas foutu de dire «Je suis effondré». Aujourd’hui, pour réussir, il faut être capable de montrer ses émotions».
Un constat qui concerne les hommes, et eux seuls. Car pendant que la palette des émotions masculines s’élargit, celle des femmes semble rétrécir. Quand Roselyne Bachelot pleure en apprenant son éviction du gouvernement, c’est qu’elle est incapable de gérer ses émotions…
Nous voici revenus au temps de Louis XIV. A sa cour, les hommes n’hésitaient pas, lit-on dans l’«Histoire des larmes» d’Anne Vincent-Buffault, à arborer des mouchoirs humides, tels des étendards de leur sensibilité. De quoi réjouir Kleenex qui entend bien sécher ces nouveaux flots de larmes.
La première marque de mouchoir à l’échelle mondiale (qui lancera cet automne des mouchoirs antiviraux), vient de sponsoriser une étude sur les pleurs des hommes.
Près de 77% des hommes interrogés estiment tout à fait acceptable de pleurer en public. Un tiers d’entre eux admettent pleurer au moins une fois par mois (près de cinq fois par mois chez les femmes). Un quart confesse même qu’ils ne versent pas quelques larmes mais ouvrent alors véritablement les vannes. Seuls 2% ne se souviennent plus de la dernière fois. Les Anglais et leur «stiff upper lip» (lèvre supérieure impassible) seraient-ils en voie de d’extinction?
La recherche menée par l’Oxford’s Social Issues Research Centre repose sur les réponses de deux mille hommes de plus de dix-huit ans. Selon Peter Marsh, directeur du Centre, «actuellement, pour un homme, pleurer indique davantage une preuve de sensibilité que de faiblesse. Ainsi, David Beckham que l’on a vu verser des larmes en accompagnant son fils lors de son premier jour d’école ne passe pas pour un faible.»
L’étude montre également un aspect générationnel. Les jeunes sont nettement plus enclins à pleurer que leurs aînés. Parmi les plus de cinquante ans, 63 % n’ont jamais vu leur père pleurer, alors que chez les 18-29 ans, le chiffre tombe à 44%.
«Les hommes pleurent parce que les choses ne sont pas ce qu’elles devraient être», estimait Camus dans son «Caligula». Plus d’un demi-siècle plus tard, les raisons qui sont à l’origine de l’émotion masculine ont changé.
Plus individualiste, l’homme du troisième millénaire pleure prioritairement à l’occasion de la mort d’un proche. Arrive en seconde position, la vue d’une scène triste dans un film
qui précède une rupture amoureuse, puis, dans l’ordre, une blessure subie par un proche, un conflit avec sa partenaire, le sentiment de solitude, l’écoute de la musique, la douleur physique et une cérémonie de mariage.
Et qu’en pensent leurs compagnes? «Ca veu dir kils sont sensibles et cest tout de meme mieu k1 mec matcho», lit-on dans une chat-room qui pose la question «Vous préférez les hommes qui pleurent ou ceux qui ne pleurent pas?» Une réponse que partagent unanimemennt les femmes que j’ai interrogées.
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Patrick Lemoine, «Le sexe des larmes» (éditions Robert Laffont).
Anne Vincent-Buffault, «Histoire des larmes» (éditions Payot).
