La canicule de cet été aurait-elle favorisé l’accession de Christoph Blocher au gouvernement? Ceux qui ont oublié la théorie des climats de Montesquieu trouveront ici de quoi se rafraîchir la mémoire.
Depuis les plantes aquatiques jusqu’aux ours polaires, les scientifiques inventorient les répercussions probables du réchauffement climatique sur la flore et la faune. Curieusement, ils se sont peu souciés jusqu’ici de son impact sur l’espèce humaine.
Or la santé de millions de personnes pourrait être affectée par la hausse des températures. C’est ce que vient de révéler une étude publiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «Il apparaît de plus en plus nettement que les changements climatiques auront de profondes conséquences sur la santé et le bien-être des citoyens partout dans le monde», lit-on dans ce premier rapport du genre.
Pourquoi l’attention se focalise-t-elle systématiquement sur les seuls risques sanitaires? Aurait-on oublié un certain Montesquieu qui, au milieu du XVIIIe siècle, établissait une relation entre institutions politiques et conditions climatiques?
La Suisse s’«italiénise», constate-t- on, stupéfait, au lendemain du virage à droite du Conseil fédéral. Avant même l’apparition des premiers palmiers, des émules de Berlusconi prennent racine dans notre terreau. Quelques degrés Celsius supplémentaires suffiront-ils à nous transformer un jour en république bananière?
«J’ai d’abord examiné les hommes, et j’ai cru que dans cette infinie diversité de lois et de mœurs, ils n’étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies», écrit Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu (1689-1755), dans son œuvre maîtresse, «L’Esprit des lois», publiée anonymement à Genève en 1748. En d’autres termes, cet érudit, moraliste, juriste, voyageur, philosophe et infatigable observateur des mœurs humaines estime que le droit positif et les sociétés humaines peuvent être objets de science, parce qu’ils sont soumis à la nécessité.
Le succès de «L’Esprit des lois» se répand rapidement dans toute l’Europe. Newton a découvert les lois du monde naturel, Montesquieu celles du monde intellectuel, commente-t-on alors. Critiquée par les jésuites et les jansénistes, l’œuvre est mise à l’index en 1751. Si, plus tard, Auguste Comte et Emile Durkheim ont vu en Montesquieu le précurseur de la sociologie, lorsqu’il meurt à Paris en 1755, il ne se trouvera qu’un seul homme de lettre pour suivre son cercueil: Diderot.
Et que dit justement sa théorie des climats? Les hommes sont gouvernés par cinq choses différentes, le climat, les manières, les mœurs, la religion et les lois. «L’empire du climat est le premier de tous les empires parce qu’il forme la différence des caractères et des passions des hommes».
«L’air froid resserre les extrémités des fibres extérieures de notre corps; cela augmente leur ressort, et favorise le retour du sang des extrémités vers le cœur. L’air chaud, au contraire, relâche les extrémités des fibres et les allonge; il diminue donc leur force et leur ressort. On a donc plus de vigueur dans les climats froids», lit-on dans le livre XIV de «L’Esprit des lois».
En entretenant la force physique et mentale, le climat froid permet donc aux hommes de détenir «le courage de défendre leur liberté, alors que le climat chaud favorise l’amollissement et l’esclavage». Esclavage qu’il est d’ailleurs un des premiers à condamner. «Vous trouverez dans les climats froids des peuples qui ont peu de vices, assez de vertus, beaucoup de sincérité et de franchise. Approchez des pays chauds, vous croirez vous éloigner de la morale même», poursuit-il.
Même si les thermomètres à la hausse devaient faire passer les Suisses du froid au chaud, que l’on ne se désole pas: il est possible d’échapper à ce fâcheux déterminisme climatique. Montesquieu dénonce les mauvais législateurs qui favorisent les «vices du climat» et indique la voie à suivre aux «bons législateurs» qui sont ceux qui s’y opposent.
Les parlementaires fédéraux trouveront là matière à réflexion.
