Depuis l’entrée de Coop dans le capital du groupe culinaire, les conseils de la célèbre cuisinière se résument à réchauffer des produits préemballés, déjà préparés. Triste fin d’un mythe suisse.
Le goût suisse, c’est elle, et sa notoriété atteint des sommets. Depuis près d’un demi siècle, Betty Bossi influence le contenu des assiettes helvétiques. Ses livres de recettes sont des «best-seller». Son journal approche le million d’abonnés.
Cette réussite phénoménale a été mise sur orbite par un géant hollandais. Dans les années cinquante, la firme Unilever cherchait un instrument de marketing pour introduire sa margarine «Planta» et son huile «Sais» sur le marché suisse. Une certaine Emmi Creola-Maag inventa une maîtresse ménagère imaginaire: Betty Bossi.
Dès 1956, «Betty Bossi Post» débarque gratuitement dans les ménages. Une feuille d’information qui se transforme, en 1972, en «Journal Betty Bossi pour la cuisine moderne et le ménage» et, en 1993 en «Betty Bossi». Pour dispenser ses cours, une école de cuisine est crée et un livre de recettes paraît, en 1973. Depuis, plusieurs livres sortent de presse chaque année. Les Editions Betty Bossi SA sont fondées en 1977 par Unilever. En 1995, le groupe de presse Ringier les rachète.
S’ajoute à ce succès éditorial un secteur tout aussi florissant: la vente d’ustensiles de cuisine et de ménage. Une casserole différente pour chaque recette, un plat spécifique pour chaque met, une râpe adaptée à chaque légume, un couteau miracle pour chaque fruit, une boîte magique pour chaque ingrédient, autant d’articles présentés comme indispensables à toute ménagère qui se respecte. Ces gadgets, en réalité souvent inutiles, encombrent encore un nombre infini d’armoires suisses…
Notre insatiable Betty Bossi ne se contente pas de la diffusion de ses compétences de cuisinière. Voilà qu’elle se découvre des talents de décoratrice intérieure et de jardinière. L’esthétique BB est née (nous en parlions ici même)!.
La mariée est belle et Coop l’épouse en novembre 2001. Le grand distributeur et Ringier se la partage désormais à part égale. Mais la stratégie change et les produits de Betty deviennent rapidement synonymes de «fast food». Plus élégamment baptisés «convenience» par le géant de la distribution, ses produits «frais tout prêts» n’ont plus grand chose à voir avec ce que proposait la cuisinière soigneuse et patiente d’antan.
«Tu t’es aussi fait piéger par Betty?», me demande par exemple récemment une amie. Elle avait commandé la dernière parution B.B., «La cuisine éclair. Produits frais tout prêts: idées cuisine» et reçoit ce qu’elle estime être un «catalogue de pub Coop». «On ne m’y reprendra plus à payer vingt balles pour de la pub!»
J’y suis allée voir de plus près. Dans la préface signée Betty Bossi, je découvre l’injonction: «Lancez-vous… Les nouveaux produits mis au point par Betty Bossi et Coop jalonnent nos recettes et sont les grandes stars de ce livre, toute une gamme de nouveaux produits et de plats qui marient fraîcheur et saveur. (…) Partez à la découverte de cette cuisine nouvelle tendance, rapide et innovante.» En fait de cuisine, il s’agit en gros de produits «fast food» que le livre de recettes explique comment réchauffer.
Notre mythique cuisinière parviendra-t-elle à nous faire gober n’importe quoi? Ce n’est pas l’avis du journal suisse alémanique des consommateurs «K-Tipp». Dans sa dernière édition, il annonce, brutal: «Betty Bossi ist tot.»
