A l’heure où l’Europe commence à y recourir de manière massive, notamment pour combattre l’immigration illégale, la technique d’identification biométrique montre ses limites. Malaise.
Les détectives pourront bientôt ranger leur loupe. L’identification par empreintes digitales n’est pas aussi fiable qu’on avait pu le croire depuis plus de cent ans. Ironiquement, cette remise en question survient au moment précis où la société occidentale, déstabilisée au niveau de la sécurité, se met à y recourir à grande échelle.
Les députés italiens viennent de prendre une décision très controversée: exiger des étrangers originaires des pays non membres de l’Union européenne qu’ils fournissent leurs empreintes digitales lors de la demande ou le renouvellement d’un permis de séjour. La mise en place d’une telle base de données devrait, selon eux, faciliter l’application de la convention de Dublin.
Le leader de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, se réjouit de cette nouvelle mesure – alors que l’opposition de centre-gauche la juge xénophobe parce qu’«elle assimile étrangers et criminels». Une allusion au système Eurodac adopté en décembre 2000 par l’Union européenne et qui permet, grâce aux empreintes digitales, d’établir l’identité d’immigrés illégaux et de demandeurs d’asile lorsqu’ils franchissent une frontière de l’Union.
Dès son invention à la fin du XIXe siècle, et jusqu’à tout récemment, la technique des empreintes digitales a été considérée comme la méthode d’identification la plus efficace et la plus fiable par les services de police. On n’imaginait pas à quel point elle pouvait se révéler trompeuse.
C’est Alphonse Bertillon, un scientifique français, qui le premier fit appel à la richesse des sillons de l’extrémité interne des doigts pour identifier les criminels récidivistes. Le «bertillonnage» est d’ailleurs entré dans le dictionnaire comme synonyme d’anthropométrie judiciaire.
Ce n’est qu’en 1999 que le biomètre Robert Epstein détecta une première faille dans la précision de cette méthode. Il fit analyser des empreintes dans cinquante Etats américains. Vingt pour cents des résultats récoltés étaient faux.
Epstein lança alors la polémique en questionnant le FBI: «Combien de personnes emprisonnées ne devraient pas l’être?»
Dans son numéro du 27 mai dernier, l’hebdomadaire New Yorker raconte comment une jeune officier de police, Shirley McKie, a été accusée à tort de l’assassinat d’une vieille dame. Selon le rapport officiel, ses empreintes avaient été relevées sur les lieux du crime, alors qu’elle avait toujours nié sous serment avoir pénétré dans cette maison. La jeune femme en devint suicidaire.
L’enquête permit finalement, grâce à d’autres empreintes retrouvées sur la victime, d’identifier le véritable criminel. Shirley McKie n’en continua pas moins d’être poursuivie pour parjure.
Désespérée, elle chercha de l’aide sur internet. Cette aide lui vint du plus grand expert en dermatoglyphes du Royaume-Uni, Allan Bayle. Il arriva à la conclusion que les empreintes retrouvées sur le lieu du crime n’étaient pas celles de Shirley McKie.
La policière fut finalement acquittée, et la déposition de Bayle contribua à mettre en question un système dont la fiabilité avait, jusque là, été considérée comme acquise.
Au printemps dernier, la biométrie a fait l’objet de nouvelles attaques. Un chercheur japonais a présenté le 14 mai à Séoul, lors d’une réunion de l’Union internationale des télécommunications, une méthode permettant de tromper les senseurs d’empreintes digitales. Tsutomu Matsumoto a réussi à créer, en moins d’une heure, un faux doigt en gélatine remplaçant facilement l’original.
De tels faux doigts peuvent être créés à partir d’une photographie d’empreintes prélevées par exemple sur un verre. Leur coût: pas plus de 10 dollars. Dans 80% des cas, le port d’un faux doigt permet d’accéder à des espaces protégés par un système de reconnaissance d’empreintes digitales.
C’est le cas de le dire, les sociétés qui ont développé ce genre de système de sécurité, comme Thomson-CSF, doivent s’en mordre les doigts…
La biométrie digitale va-t-elle dès lors laisser la place aux empreintes génétiques? Pas si sûr. Certains chercheurs douteraient déjà de leur totale fiabilité…
