En plein Mondial, les femmes viennent provoquer les braves aux tibias noueux en relançant, de manière renouvelée et pragmatique, la question de l’égalité.
«C’est le but de moi». Voilà une des toutes premières déclarations, en bon français fédéral, de la nouvelle ministre Doris Leuthard quelques minutes après son élection, mercredi.
Il ne fallait pas y voir une allusion à sa présence, la vieille à Stuttgart, lors du match Suisse-France: là-bas, comme on sait, aucun but, ni d’elle ni de personne, n’est venu enflammer les tribunes du Gottlieb-Daimler Stadion.
Non, le penalty que l’Argovienne entend transformer, c’est celui de la cause des femmes, qu’une double présence féminine au sommet de l’Etat devrait faire, selon elle, avancer. A cet égard, et paradoxalement en plein Mondial de toutes les virilités triomphantes, ces derniers jours ont été plutôt offensifs.
D’abord la campagne lancée par les différents bureaux romands de l’égalité, avec des affiches et un slogan qui frappent juste. Deux préados à la mine renfrognée, garçon et fille, illustrent une question en forme de coup franc apte à faire réfléchir les défenseurs les plus coriaces du statu quo: «Donner moins argent de poche à votre fille qu’à votre fils…impensable?»
Une manière de dénoncer de manière convaincante et surtout renouvelée, des chiffres qui ne bougent pas mais n’émeuvent plus guère, tant ils ont été ressassés: 20% de moins dans le privé, 10 dans le secteur public, voilà l’écart salarial persistant entre homme et femme malgré une loi sur l’égalité qui fête sa première décennie.
Ce slogan éclairant s’accompagne d’autres considérations tout aussi judicieusement ciblées, parce qu’oubliant la logorrhée idéologique d’un féminisme bouffé aux mites pour se placer dans des sphères plus bassement comptables, donc plus parlantes.
Fabienne Bugnon, responsable du bureau genevois de l’égalité, explique ainsi que «20% de salaire en moins, c’est 20% de concurrence déloyale entre entreprise égalitaire et non égalitaire, 20% de pertes fiscales et de cotisations sociales».
Sur la même habile lancée, la représentante du bureau valaisan Nicole Langenegger-Roux raconte l’avantage d’avoir rebaptisé l’officine en «bureau de la famille et de l’égalité»: «Lorsque l’on parle d’égalité, il y a parfois des poils qui se hérissent. Cette question n’est pas bien acceptée par la population. On veut donc faire comprendre que les inégalités salariales touchent aussi les familles.» Bref, l’adversaire s’attend à un tir direct et c’est un feinte qui le met dans le vent.
Ensuite, dans le cadre de la révision du code civil, le Conseil national vient de brandir un carton rouge péremptoire contre une race de tacleurs qui n’ont que trop fait parler d’eux: les conjoints cogneurs qui pourront, à la demande de leurs victimes, être expulsés manu militari du domicile conjugal et se voir interdir de franchir un certain périmètre de protection, d’entrer en contact par téléphone ou mail ou même de fréquenter certains endroits publics.
Les raisons d’être sifflé hors-jeu sont assez nombreuses et précisément définies: outre la violence domestique proprement dite, on trouve «la menace, la poursuite et le harcèlement obsessionnels».
Enfin il y a la preuve par Doris: avant son élection déjà, la politicienne argovienne ne devait pas avoir grand-chose à envier à ses collègues masculins en matière d’égalité salariale. Rien que pour s’asseoir à la table des deux principaux conseils d’administration où elle siégeait jusqu’ici — le nucléaire, dans une filiale d’Axpo, et la banque dans une petite sœur du Crédit Suisse –, elle touchait 110’000 francs par année. Bref l’égalité devant le jeton de présence semble acquise, de même qu’à l’intérieur du Conseil fédéral: Micheline et Doris sont aussi bien traitées que Christoph ou Pascal.
A l’inverse et pour boucler la boucle, il reste un domaine où l’écart entre les rémunérations masculines et féminines ne se chiffre pas en % mais en millions trébuchants. Il s’agit, on l’a compris, du football. Elue meilleure joueuse suisse de l’année, la soleuroise Vanessa Bürki vient d’être transférée au Bayern de Munich, mais il n’est pas question de salaire, seulement de quelques primes de matches.
Alexander Frei, lui, on le sait, est en train de quitter Rennes pour le Borussia Dortmund, mais les négociations piétinent toujours, vu l’ampleur des montants à discuter. Les machos aux mollets velus pourront rétorquer qu’ici le principe «travail égal, salaire égal» ne peut s’appliquer.
En effet, en quatre saisons avec son club, le FC Zuchwil, Vanessa a marqué 110 buts, tandis que le divin Alex avec Rennes et dans le même laps de temps, n’a scoré que 48 fois.
