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Le dernier pêcheur de Lausanne

Il ramène dans ses filets perche, brochet, omble chevalier et surtout féra, le poisson local qu’il a contribué à valoriser. Rencontre au port avec Serge Guidoux, le fameux pêcheur du Léman.

À Lausanne, le patron de la Pêcherie d’Ouchy est une véritable vedette locale: les grands chefs comme Anne-Sophie Pic du Beau-Rivage Palace ou Stéphane Décotterd du Pont de Brent chantent ses louanges*. Son art du fumage à l’ancienne lui a valu en 2016 la médaille d’or des produits du terroir. Seul pêcheur actuellement en activité au port de Lausanne, il est aussi un des derniers pratiquants de la pêche dite «à la monte». À 57 ans, il se demande cependant ce qui, de tout cela, restera après lui…

La pêche à la monte, qu’est-ce que c’est?

Serge Guidoux: C’est une pêche active: vous posez le filet et vous le relevez tout de suite, contrairement à ce qui se passe dans la pêche passive, quand vous posez les filets le soir et qu’ils se remplissent pendant que vous dormez. Mais la pêche à la monte tend à disparaître: dans la région de Lausanne, je suis le seul à la pratiquer encore.

Pourquoi?

Elle est très technique et demande un grand savoir-faire. Il faut connaître les courants, les endroits où on trouve le poisson, appelés les traits de monte. Ils portent chacun un nom. Près d’Ouchy, il y a La Tour, La Relevée, Mirella, Le Général… c’est le meilleur coin du lac, devant la maison du Général Guisan. Qui vous a transmis ce savoir-faire? J’ai eu la chance de trouver des vieux professionnels qui m’ont appris. Celui d’Ouchy s’appelait Jacky Bovet, il était fils de pêcheur mais avait abandonné la pêche et travaillait à la commune. Quand je l’ai contacté, il était heureux de voir arriver un jeune qui s’intéressait à la monte et il a repris du service pour me montrer.

Vous, vous n’êtes pas fils de pêcheur…

Mon père était chauffeur de camions et j’ai fait un apprentissage de postier. Mais le bureau, ce n’était pas pour moi. Je regardais la pendule, il était 14h10, je la regardais une heure plus tard, il était 14h20! À 30 ans, j’ai décidé de changer. Mes parents m’ont dit que j’allais crever de faim. J’ai bien fait de ne pas les écouter: je suis un homme heureux. La pêche, c’est la liberté. En vingt-cinq ans, je n’ai pas vu le temps passer.

Vous avez beaucoup travaillé à faire connaître ce poisson-vedette du Léman qu’est la féra. Vos efforts ont-ils porté?

Oui! Quand j’ai commencé, les clients voulaient des filets de perche et rien que des filets de perche. Je n’arrivais pas à vendre la féra que je pêchais. Puis, comme responsable de la promotion des poissons du lac, j’ai convaincu les grands chefs de plaider pour la féra. Le message est passé. Aujourd’hui, je n’ai pas assez de féra pour répondre à la demande! C’est un poisson sensible, délicat, difficile à exporter: quand il y a de la féra à la carte, vous pouvez être sûr qu’elle est du pays. Contrairement à la perche, très souvent importée.

Y aura-t-il d’autres pêcheurs à Ouchy après vous?

Je ne sais pas. J’aimerais trouver un successeur. Mais même si je le trouve, quelle place lui laissera-t-on? Sur l’eau, le trafic de la CGN augmente, les bateaux de plaisance aussi, les pédalos, les paddles. Tous se croient seuls au monde et je me fais insulter quand je leur dis de faire attention à ne pas me foncer dessus. C’est paradoxal: quand les gens vont au restaurant, ils veulent tous du poisson du lac. Mais lorsqu’il s’agit de faire la place au pêcheur, tout devient de plus en plus compliqué.

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* À Lausanne, on peut également déguster le poisson de Serge Guidoux à la Brasserie de Montbenon, au Mirabeau et au Château d’Ouchy.

La Pêcherie d’Ouchy est par ailleurs ouverte à la vente privée en direct du mercredi au samedi de 8h à 12h. Ch des Pêcheurs 9 (au bout du port, en face du Mövenpick) Tél: +41 21 617 72 06.

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans The Lausanner (no3).