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Antonio le naïf

Avec deux «dérapages» en quelques jours, le conseiller d’État Antonio Hodgers semble découvrir ce que tout le monde savait déjà: l’humour est une cause perdue.

On ne peut plus rien dire, mon pauvre monsieur! Cette rasante antienne de vieux schnock, d’oncle aviné au sortir d’un repas de famille trop chargé, c’est Antonio Hodgers qui doit la remâcher depuis quelques jours. Lui qui incarna jadis, avec quelques autres, la branchitude décontractée, le renouveau mondialiste, bref la modernité triomphante, cochant les cases qu’il faut aujourd’hui cocher si l’on entend avoir bonne presse. Multiplicité des origines, sensibilité aux causes environnementales et aux minorités sexuelles, il avait tout juste Antonio, alliant la défense de l’opprimé à la prestance du danseur de tango.

Coup sur coup pourtant le président du Conseil d’État genevois s’est fait l’auteur de deux dérapages. C’est-à-dire dans l’épais patois contemporain, une de ces phrases en soi anodines voir amusantes, en tout cas dans l’esprit de leur auteur, mais qui, à l’aune de ces temps moroses, font scandale parce que heurtant la délicate sensibilité d’un groupe ou l’autre, quel qu’il soit.

D’abord Antonio Hodgers s’en est pris aux habitants d’un canton alpin et périphérique, trouvant, à propos du déménagement de la RTS, que les enfants du Vieux-Pays étaient très nombreux à la direction de la télévision, contrairement aux Genevois. Avec cette forte conclusion: «Les Valaisans sont partout comme toujours.» Propos rappelant évidemment ceux adressés depuis des lustres, et qui continuent à l’être, à des populations autrement plus persécutées que les Saviésans ou les Martignerains.

Rien de trop grave encore: la saillie anti-valaisanne n’a déclenché chez les concernés que de rares grincements de dents sur les réseaux sociaux. Peut-être parce que les Valaisans, même s’ils ne dédaignent pas à l’occasion jouer cette carte pleurnicharde, doivent avoir au fond d’eux-mêmes beaucoup de peine à s’imaginer en victimes.

Il s’est quand même trouvé un député PLR du parlement genevois, même pas d’origine valaisanne, pour s’indigner de ce trait supposé de xénophobie. Même si un Valaisan à Genève, cela doit représenter à peu près le degré zéro de l’étrangeté.

Hodgers s’est défendu en soutenant qu’il s’agissait d’un simple trait d’humour. Ce qui démontre au moins sa naïveté. Le magistrat semble-ne s’être pas encore aperçu d’une triste réalité: l’humour, c’est fini, ou presque. Que nous vivons désormais dans un monde essentiellement peuplé de pisse-froid susceptibles comme des meutes de poux enragés.

Mais voilà qu’Hodgers persiste dans l’erreur et aggrave même sérieusement son cas. Ses partisans invoquent à nouveau l’humour pour justifier une phrase à l’encontre d’une journaliste coupable de l’avoir désavantageusement comparé à un concurrent: «Cette journaliste est amoureuse de Pierre Maudet comme une jeune fille est amoureuse de Justin Bieber» s’est-il autorisé à dire, sans doute libéré parce qu’il s’exprimait dans une émission satirique.

Ce qui montre encore une fois sa naïveté: la satire, ce n’est plus cool. L’esprit de sérieux triomphe partout. Notamment chez les féministes qui ont hurlé en l’occurrence au sexisme infantilisant, accusant Hodgers de réduire la femme à une boule d’émotion sans cervelle.

Il faut que le sémillant conseiller d’État se fasse une raison: le temps des petites blagues est passé, laissant la place à une moralisation de tous les instants, à des condamnations outrées, même pour des riens. À une société sans plus trop de fonds commun mais avec une myriade de particularismes plus agressifs et teigneux les uns que les autres.

Oui, il faut qu’Hodgers en fasse son deuil: il n’est plus permis de parler comme dans San Antonio.