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D’entrepreneur à intrapreneur

Johan Bavaud a fait de la prise de risque son métier. Rencontre avec un jeune homme de 28 ans qui compte déjà trois entreprises à son actif.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.

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La rencontre a lieu dans un petit bureau de l’EPFL Innovation Park. Équipé d’un mini terrain de golf, comme dans la meilleure tradition des jeunes pousses, il est occupé par l’équipe de Tooyoo, une plateforme numérique qui permet de gérer ses dernières volontés et de les transmettre à ses proches. C’est ici que Johan Bavaud, 28 ans, met désormais à profit son expérience de serial entrepreneur en tant que «Digital Happyender in Chief».

La passion pour les affaires l’a saisi pendant son adolescence. «J’avais 16 ans lorsque j’ai organisé ma première soirée, explique le jeune homme. Avec deux amis, nous avons eu l’idée de créer un kit qui rassemblait son, décorations et générateur électrique. Le but était de permettre à nos clients de lancer au plus vite une fête sans devoir se soucier des aspects techniques.» Sur la plateforme, baptisée G2B, il suffisait d’entrer le nombre de personnes attendues et l’adresse de la fête. L’équipe venait ensuite installer un kit adapté en une demi-heure maximum. «À la fin de l’aventure, la grange de mon grand-père était pleine de matériel. Nous avions à notre actif presque 250 soirées et une dizaine de milliers de francs mis de côté chacun.» Fort de cette expérience, Johan Bavaud découvre que le changement est le seul élément stable du métier d’entrepreneur.

Après une maturité bilingue réalisée entre Lausanne et Berlin, il travaille au Centre patronal vaudois pendant près de quatre ans pour financer ses études à la HEIG-VD, où il suit une formation en marketing et en innovation. «J’ai tout de suite remarqué son leadership et son esprit d’entrepreneur. Ce n’est pas si fréquent de trouver ces qualités de manière si prononcée chez des étudiants au niveau bachelor», se souvient Nathalie Nyffeler, responsable de la filière Innokick.

Dans le cadre de son travail de bachelor, il réalise une étude de marché pour la plateforme Cronodeal, créée fin 2013 par son ami Alessandro Soldati. Utilisant le principe des enchères inversées, Cronodeal avait connu un succès médiatique très important en Suisse romande. «À son lancement, la plateforme enregistrait des pics de 20’000 utilisateurs uniques par jour. Quatre mois plus tard, il restait une communauté de 500 visiteurs très fidèles, qui visitaient le site chaque jour. J’avais un peu d’argent mis de côté pour partir autour du monde. Finalement, j’ai renoncé au voyage pour miser sur Cronodeal.»

Pour Alessandro Soldati, l’entrée de Johan dans la société va changer les perspectives de croissance de Cronodeal: «Son talent dans le marketing venait compléter mes compétences dans la gestion administrative. Nous étions tellement complémentaires et toujours en tandem qu’on nous appelait ‘la coppietta’ (le petit couple en italien, ndlr).»

Un pari réussi

Le Burgerpass est le premier des coups de marketing réalisé chez Cronodeal par Johan Bavaud, alors âgé de 24 ans. Le projet naît comme une solution de growth hacking pour contrer les ventes en stagnation, en renforçant la communauté gravitant autour du site. L’idée? Un passeport vendu 40 francs, qui permet de bénéficier de deux burgers pour le prix d’un lors de la première visite d’une liste d’établissements partenaires. La première étude de marché se révèle encourageante: «Les gens réalisaient qu’un burger gourmet était souvent moins cher que ceux proposés par les grandes chaînes de fast food.»

Une campagne de crowdfunding est lancée durant l’été 2015, manière de limiter les risques et de sonder l’intérêt du public. Elle récolte un peu plus de 4600 francs. Au départ, treize établissements sont de la partie. «Le but était d’un côté de soutenir les petits producteurs, en donnant de la visibilité aux restaurants sélectionnés qu’ils approvisionnent, et de l’autre montrer où trouver les meilleurs hamburgers en Suisse romande, sur la base d’une grille d’évaluation.» 400 Burgerpass sont vendus sur Cronodeal durant la première année du projet.

Une opération qui permet de faire rentrer des fonds dans l’entreprise, d’élargir la base de clients de la plateforme et d’attirer un gros investisseur qui contribue avec 300’000 francs à la poursuite du projet. «Fin 2015, notre chiffre d’affaires était d’environ 250’000 francs. C’est à ce moment-là que, grâce à une équipe réduite au minimum, nous avons commencé à nous verser des salaires», détaille Johan Bavaud.

Une année de succès

«L’année 2016 a été vraiment amusante», se souvient Alessandro Soldati. Si les premiers six mois sont très, voire trop calmes, des initiatives extrêmement médiatisées voient le jour sur Cronodeal. La vente d’un chat rare prénommé Maus (pour récolter des dons pour la SPA), les «loyers inversés» en collaboration avec le promoteur immobilier Roland Morisod et des montres de luxe proposés 40% moins chères que les prix catalogue.

Ces promotions, réalisées également grâce aux contributions d’anciens hauts cadres dirigeants engagés à travers le réseau InnoPark permettent d’atteindre des visites record pour le site. «Nous avons enregistré plus de 40’000 visiteurs uniques en moins d’une semaine. Mais nous avons surtout généré 30% du chiffre d’affaires de l’année en 20 jours seulement», souligne Johan Bavaud.

Face à face avec l’échec

L’euphorie est justifiée: en 2016 le chiffre d’affaires atteint 450’000 francs. Pourtant, les journées de travail de 14 heures, les inévitables frictions entre deux associés qui sont en même temps amis et les extravagances marketing de Johan Bavaud font exploser le couple. C’est à ce moment-là qu’il fait l’expérience de l’échec: il cède ses parts de la SA, pour se concentrer uniquement sur le Burgerpass. «C’était le plus gros creux de ma vie. D’une période où j’étais sollicité de toutes parts, j’en suis arrivé à ne presque plus recevoir d’appels.»

Johan Bavaud apprend la valeur de l’équilibre entre vie privée et professionnelle, tout comme l’importance de ne pas chercher à éviter les conflits et laisser les problèmes s’accumuler. En 2017, son ancien associé du projet G2B le rejoint pour l’aider dans la création de l’Escapegamepass, un passeport, vendu 90 francs pièce, qui offre une remise de 30% lors de la première visite d’une Escape Room associée au projet.

Une nouvelle campagne de crowdfunding permettant de récolter 6000 francs est lancée au printemps 2017 avec succès, suivie d’une progression intéressante des ventes au cours de l’année: «Le développement des plateformes numériques des deux pass et une promotion sur le site Qoqa nous ont permis d’atteindre un total de 1150 passeports vendus.»

Un changement de paradigme

Le modèle d’affaires n’étant pas viable pour trois personnes, Johan Bavaud délègue ses tâches à une directrice fraîchement arrivée et à son associé, qui quitte l’aventure pour des raisons privées courant de l’été 2018. La CEO pilote seule l’entreprise à ce jour, qui compte désormais environ 40 établissements associés. Johan Bavaud, lui, se décide à jouer la carte de l’intrapreneuriat au sein de Tooyoo. La plateforme, distinguée par le Gold Award Innovation 2018, fait en effet partie du groupe La Mobilière, tout en étant pilotée de manière indépendante.

Dirigée par un autre serial entrepreneur, la start-up a été séduite par ses qualités de «pirateur de croissance». «Dans un cadre incertain qu’est le lancement d’une entreprise, nous recherchions un profil orienté terrain, explique Ralph Rimet, le CEO de Tooyoo. L’approche structurée de Johan, ses talents dans le marketing non conventionnel, ainsi que sa maîtrise des réseaux sociaux sont tout ce qu’il fallait pour accélérer le développement de notre start-up.»

Car le projet, malgré sa forte croissance «pourrait se transformer à la fin de la période d’essai en une spin-off ou bien être intégré au sein de La Mobilière à terme». Suivant le modèle du management agile, Tooyoo fonctionne exactement comme une start-up (quoique bien protégée). Un défi moins risqué pour Johan Bavaud mais pas moins stimulant pour autant: «Je trouve qu’aujourd’hui les opportunités offertes par l’intrapreneuriat sont tout aussi intéressantes que l’entrepreneuriat ‘classique’. Au sein de Tooyoo, j’ai la possibilité de mettre en œuvre les techniques de growth hacking avec un potentiel de croissance extrêmement élevé.»