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30. Où l’on suit en en détail le raisonnement du commandant Moritz

Trentième épisode de notre feuilleton de politique fiction. Ce récit présente le scénario catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.

Pendant la nuit qui précède le Forum de Davos chacun se prépare. D’un côté, le jeune Japonais Tsutsui mime exactement les gestes d’un terroriste qui ferait sauter un relais de téléphonie mobile. De l’autre, un invité au Forum, Max, découvre qu’il est le père de Tsutsui. Et finalement, le commandant Moritz croit bien faire en précipitant une avalanche préventive pour sauver l’honneur perdu de Davos.

Une vue de la scène est accessible ici.

Lire ici le début du récit.

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Chapitre 30.

Il est arrivé au commandant Moritz de voter avec les sociaux-démocrates, mais il a finalement rejoint le parti hégémonique. Depuis cent cinquante-quatre ans il est au pouvoir. Aucun pays n’a réussi à faire durer si longtemps sa domination sans la moindre interruption.

Chez les Suisses, le personnel politique ne change jamais. Il reste neutre. Ailleurs, pour faire des affaires avec les nazis puis avec les Alliés, ils ont dû changer les attelages. Ici un pro-nazi convaincu est devenu directeur de la banque nationale après la deuxième guerre mondiale, c’était la suite logique de sa carrière. Un autre organise les massacres de l’apartheid puis reçoit Mandela.

Aucun pays au monde n’a gardé les structures du pouvoir sans ravaler de temps à autre la façade des ses institutions. Même au Mexique le règne du parti dominant n’est pas aussi ancien.

Après qu’on ait découvert qu’un adulte sur quatre possédait en Suisse un dossier de police, le commandant Moritz lui-même a été chargé de calmer le jeu. Il a donc dirigé la commission d’enquête, a pénétré à cette occasion quelques secrets d’Etat. Dès lors il est naturel qu’il ait été chargé de mettre en place la nouvelle forme des dossiers de police entièrement informatisée.

Pour ce qui est d’une commission parlementaire, il sait comment elle travaille. Sa seule source d’information est celle que les accusés veulent bien mettre à sa disposition. Il suffit de trier par avance les cartes du jeu qu’on a en mains.

Le système de surveillance à partir des pylônes du téléski est ainsi fait qu’on ne peut visionner qu’un écran à la fois. Une caméra après l’autre. Pour le moment le commandant Moritz utilise les images qui viennent des deux caméras tout en haut de la piste. Une image fixe chaque vingt minutes.

Sur l’avant-dernière, il y a dix minutes, le Japonais était encore en train de monter. Quant au déclenchement des avalanches, le com-mandant Moritz s’est assuré qu’il ne peut être fait qu’à partir d’un seul point : la salle de contrôle. Une fois la chose exécutée, en admettant qu’il faille en arriver là, il rendra le contrôle à l’Institut. Ils n’y verront que du feu et de la poudre de neige.

Il existe des cas de figure où la défense de l’ordre démocratique passe par sa suspension provisoire. En son âme et conscience, le commandant Moritz sait que l’éventuelle suppression du Japonais est maintenant préparée jusque en ses moindres détail. S’il l’avait là devant lui, le commandant Moritz n’hésiterait pas à le lui faire savoir.

Monsieur Tsutsui, vous avez décidé de vous engager dans la propagande par les faits. Vous voulez priver mes concitoyens de conversation. Vous voulez documenter la fragilité du pouvoir, mettre en cause la mondialisation. Et pourtant vous venez de l’autre bout du monde. Que savez-vous de nos montagnes? Qui vous permet de les salir ? Soyez certain qu’elles sauront se défendre. Et s’il le faut, moi, commandant Moritz, je parlerai pour elles.

Ruth n’a pas l’air de comprendre le sourire malin que prend le commandant Moritz en passant d’un écran à l’autre. Elle dit presque en chuchotant:

– Je voulais te dire, chef, moi aussi j’ai réfléchi. Je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre. Mais pourtant. Tu ne crois pas? On devrait mettre au moins dans le coup, je ne sais pas moi, par exemple…

Le commandant Moritz met un doigt sur la bouche, lui fait comprendre que leur meilleure défense est là. La vingtaine d’autres personnes qui travaillent autour d’eux dans la même salle de contrôle ne se doutent de rien. Tous sont absorbés par leur tâche de surveillance bien cadrée, avec des procédures plusieurs fois simulées.

Mais contre l’imprévu, il faut savoir inventer, puis assumer. Chacun broute dans son écran, rumine ses données, envoie des courriers à son voisin. Certains d’entre eux sont peut-être même en train de jouer: une patience ou autre chose. Tout est pris en compte par le système.

(A suivre)

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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le trentième et unième épisode.

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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.