TECHNOPHILE

Du verre neuchâtelois dans l’espace

L’entreprise VQT a su se réinventer en fabriquant des appareils pour l’aéronautique ou les laboratoires de pointe. Elle résiste à une concurrence venue d’Europe de l’Est et d’Asie.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.

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De la verrerie chimique, des vitres pour les pendulettes ou encore des composants destinés aux satellites: des milliers d’objets en verre sont réalisés chaque année chez Verre et Quartz Technique (VQT) à Neuchâtel. Depuis 1985, la société est spécialisée dans le soufflage et l’usinage de pièces en borosilicate et en silice fondue (quartz), les substances nécessaires à la fabrication d’objets en verre. «Vous ne verrez ici aucun souffleur de verre avec sa canne, indique Philippe Hauser, directeur général. Nous transformons au chalumeau toutes sortes de tubes en verre de diverses grandeurs et épaisseurs. Parfois, nous convertissons également d’autres matières par usinage, comme la céramique.»

À l’intérieur du bâtiment bleu longiligne, rattaché par une passerelle à la gare de Neuchâtel-Serrière, trois employés, sur la dizaine que compte l’entreprise, s’affairent à finaliser une commande destinée à un client important. Il s’agit d’une nouvelle sorte d’éprouvettes d’analyse. Les chalumeaux posés sur la dizaine de bureaux en bois sont pour l’instant silencieux. Seule une machine se fait entendre. La société possède deux installations permettant l’usinage à froid de séries de pièces et un grand four destiné à détendre la tension des molécules du verre. Les temps de fabrication varient de quelques minutes pour un arbre d’agitateur (un simple tube en verre) à plusieurs dizaines d’heures pour les instruments en verre les plus complexes.

Savoir-faire technologique

A l’heure actuelle, l’entreprise livre une centaine de clients, dont 80% sont basés en Suisse. Parmi eux figurent notamment des grands laboratoires de recherche, des acteurs du monde horloger ainsi que des entreprises aéronautiques. «Sur une année normale, environ 40% des articles produits sont en quartz et le reste en borosilicate», précise le directeur. La PME figure d’ailleurs parmi l’une des seules en Suisse romande à fournir des appareils en quartz. Son chiffre d’affaires annuel oscille entre 1,2 et 1,5 million de francs suisses. «Nous produisons un grand nombre de petites et moyennes séries ou des pièces uniques. Le tiers de notre chiffre d’affaires est assuré avec des commandes régulières de clients fidèles.» Réussir les articles tests est ainsi un élément crucial chez VQT, car «parfois, ces pièces aboutissent à des contrats renouvelables annuellement».

La société livre aussi des cellules en verre cylindriques pour les horloges atomiques utilisées dans les satellites du projet Galileo de l’Agence spatiale européenne, dont l’objectif est de concurrencer la solution américaine GPS. Pour Jacques Haesler, chef de projet au Centre Suisse d’Electronique et de Microtechnique de Neuchâtel, la technologie et le savoir-faire de VQT en font un partenaire de choix. «La qualité de finition de leurs cellules en verre a contribué au succès de ces horloges atomiques.» En dehors du domaine spatial, VQT fournit également les producteurs de semi-conducteurs en nacelles en verre. En forme d’égouttoir à vaisselle, ces structures en silice fondue vont servir de support dans le traitement thermique des wafers, des plaques de semi-conducteur sur lesquelles sont gravés des circuits intégrés.

Outre les productions industrielles, la société réalise aussi des objets uniques faits sur mesure. Parmi ces créations spéciales, certaines sont le fruit d’une collaboration avec l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL). Depuis plusieurs années, des étudiants font appel à VQT pour fabriquer des objets d’exception, présentés à la fin de leur formation. Exemple avec ces verres à Martini intégrés dans un quartz en forme de gobelet. Thibault Dussex, cofondateur du studio de design industriel Egli à Renens, a également découvert l’expertise de VQT au travers de l’ECAL. «Je voulais créer une carafe d’eau originale avec un sablage à l’intérieur lui donnant un aspect givré dans le cadre d’un projet personnel. Une fois remplie, elle devient à nouveau transparente en laissant apparaître son contenu.» Un rendez-vous et un croquis plus tard, le designer vaudois recevait sa création dont le résultat réalisé dépassait largement ses attentes. Une satisfaction qui s’explique par le savoir-faire artisanal de VQT dans le maniement du verre, hérité d’une longue tradition artisanale.

Réorientation salvatrice

VQT a en effet été bâtie sur l’héritage de la verrerie historique de Neuchâtel E. Widmer, créée dans les années 1950. Jean-Paul Hauser rachète en 1985 cette entreprise traditionnelle paralysée par les graves soucis de santé de son directeur. Une année plus tard, il déménage les cinq employés et toutes les machines à Saint-Blaise (NE), avec l’objectif de se rapprocher de ses clients actifs dans les semi-conducteurs. «La société a continué à bien se développer pendant trois ans», se rappelle Philippe Hauser. Mais la récession du début des années 1990 a considérablement freiné la production. «Le manque de travail dû à la crise économique nous a forcé à restructurer et à diminuer notre effectif à deux personnes. De plus, trois clients importants ont mis fin à leurs commandes en même temps, provoquant une baisse drastique de notre chiffre d’affaires. Nous avons réussi à traverser cette période avec une réelle prise de conscience: il fallait diversifier nos activités.»

Pour joindre les paroles aux actes, le directeur décide d’abord de déménager en 2002 vers des locaux mieux adaptés à la profession. Les équipes s’installent alors dans les bâtiments de l’ancien chocolatier Suchard à Neuchâtel. Quatre ans plus tard, la direction fait l’acquisition de la première machine à commande numérique sur trois axes permettant aux équipes de travailler le verre à froid, et de démarrer ainsi l’usinage du verre en complément du soufflage à chaud. Un virage vers la diversification réussi selon le directeur: «En 2013, nous avons acheté une deuxième machine, mais avec un traitement sur cinq axes cette fois. Cela nous permet de réaliser des pièces encore plus complexes.»

Miser sur le Swiss Made

Cette année, la société a atteint un chiffre d’affaires record, mais le directeur se montre néanmoins prudent. «Nous avons une visibilité à deux mois sur notre carnet de commandes.» Et Philipe Bauçais, directeur technico-commercial, de compléter: «Il faut sans cesse négocier les prix et se montrer flexible avec les fournisseurs et surtout avec nos clients.» Sans oublier la concurrence venue de l’Europe de l’Est ou du continent asiatique, précise Pierre-Yves Bielmann, président de l’association fribourgeoise des métiers du verre: «Comme dans la plupart des secteurs, certaines entreprises étrangères bradent les prix au détriment de la qualité. Le seul argument face à ces pratiques réside dans la reconnaissance du ‘Swiss made’. Il est indispensable de proposer des produits de meilleure qualité. Mais nous sommes conscients que ce n’est pas suffisant. C’est pourquoi, toutes les entreprises dans le verre doivent, en plus, se montrer flexible au niveau des délais et particulièrement réactive aux demandes du marché.»

Pour Jacques Haesler du CSEM, l’avantage concurrentiel de VQT réside dans sa réactivité. «L’équipe se montre particulièrement flexible à toute demande et produit rapidement des pièces sur mesure. De plus, sa façon humaine de traiter les requêtes en fait un partenaire de longue durée.» Pour augmenter son attractivité, la société investit également ses bénéfices dans les nouvelles technologies. Elle se dote actuellement d’une nouvelle machine qui lui permettra de découper tout type de matériau avec un puissant jet d’eau. «Cette acquisition nous permettra de nous lancer dans de nouvelles activités comme le microdécoupage, ainsi que de recevoir davantage de commandes de pièces spéciales», se réjouit Philippe Hauser.