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Le quart d’heure fédéral

Un nombre record de candidats brigueront cet automne une place sous la Coupole. Un narcissisme vivace comme jamais semble venir compenser la mauvaise réputation grandissante de l’action politique.

Donc, la pléthore. Des candidates et candidats en veux-tu en voilà. Plus de 4000 pour les deux cents strapontins du Conseil national remis en jeu cet automne. Un record, une inflation, une avalanche.

On pourrait s’en étonner à l’heure où, prétendument, il n’est rien de plus méprisé que la politique, rien de plus risible et moqué qu’un politicien. Rien de moins partagé que le goût du collectif et le sens de la chose publique.

À preuve, les difficultés que rencontrent les petites communes lorsqu’il s’agit de repourvoir leurs exécutifs. C’est que la fonction de conseiller communal, ou municipal, selon les appellations cantonales, n’offre que très peu de visibilité et mais requiert beaucoup de travail et d’engagement. À prendre sur son précieux temps libre, et sans rab de gloriole.

Or ce fameux temps libre apparaît actuellement comme la dernière chose à laquelle l’homme de ce premier quart du XIXème siècle serait prêt à renoncer. Même le spectre du réchauffement climatique – objet du militantisme désormais le plus universellement partagé – ne le dissuade pas d’aggraver, soir après soir, week-end après week-end, son bilan carbone. Normal: un temps libre qu’on ne remplit pas spectaculairement, ce n’est plus un temps libre, mais de l’ennui pascalien dans toute son horreur.

À l’inverse, une campagne électorale, surtout fédérale, offre de précieux avantages et gâteries. D’abord, ça ne dure pas trop longtemps. Et puis ça n’est pas bien compliqué. Très important à une époque où la très redoutée «prise de tête» est élevée au rang de péché capital. Suivant la bannière sous laquelle on se présentera, il suffira d’en faire des caisses sur la criminalité étrangère ou, encore, l’increvable réchauffement climatique. À la portée du premier pilier de comptoir venu, de la première cliente de salon de coiffure. Cela vaut, que l’on se rassure, aussi pour les «pilières» des mêmes comptoirs et les clients des mêmes salons.

Mais surtout la campagne électorale répond à un autre besoin fondamental de l’individu contemporain. Pour la plupart des candidates et candidats, elle aura en effet pour principal résultat qu’on aura un peu parlé d’eux. Ce n’est pas rien. C’est même énorme: ne sommes-nous à l’ère du fameux quart d’heure de gloire personnel?

Une obsession qui semble s’être aggravée depuis que le narcissisme inhérent à l’âme humaine se voit quotidiennement revigoré par les oxymoriques réseaux sociaux. Rien de moins social en effet que le réseau numérique, comme le rappelait déjà l’iconoclaste Sylvain Tesson en 2011 lorsqu’il publiait «Dans les nuits de Sibérie»: «La séance devant les écrans a remplacé la conversation…La société humaine a réussi son rêve: se frotter les antennes à l’image des fourmis. Un jour, on se contentera de se renifler».

Bref, tout est bon, pour y parvenir à ce fichu quart d’heure. Même la politique, cette chiennerie vilipendée à longueur d’année. Car la norme désormais, c’est l’acteur, non plus le spectateur.

De la même façon que l’époque ne manque pas d’écrivains, mais plutôt de bons livres, non de cinéastes mais de grands films, non de créateurs mais de consommateurs exigeants, ces élections ont facilement trouvé leurs candidats. Ne leur manque encore que des électeurs éclairés.