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«Notre ligne directrice consiste à adopter toutes les nouvelles technologies»

Marc Bürki, cofondateur et CEO de Swissquote, explique comment le leader suisse du trading en ligne dessine la finance du futur depuis sa création en l’an 2001.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.

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Après avoir créé une entreprise active dans l’informatique, Marc Bürki et Paolo Buzzi, ingénieurs diplômés de l’EPFL, ont fondé, en l’an 2001 une des premières banques en ligne de Suisse. Le succès de Swissquote est immédiat. Et ni l’éclatement de la bulle Internet, ni la crise des subprime n’ont eu raison de son modèle d’affaires. Aujourd’hui, Marc Bürki observe toujours avec attention l’émergence de nouvelles technologies dans l’idée de continuer à «disrupter» le secteur bancaire.

En 1990, vous avez lancé Marvel Communication, spécialisée dans les logiciels d’information financière. Avec quelles ambitions?

Paolo Buzzi et moi-même n’avions qu’un seul but: créer une entreprise. Nous partagions tous deux le même esprit d’entrepreneuriat, mais rien ne nous prédestinait à nous diriger dans la finance. Nous étions alors des ingénieurs, et les premiers produits de Marvel Communication allaient dans ce sens en créant des logiciels et des sites internet, notamment pour le Comité international olympique.

Quand avez-vous saisi le potentiel d’Internet?

En 1995, nous évoluions dans les débuts du web commercial, mais nos affaires allaient mal. Nous avions alors écumé tous les clients potentiels qui pouvaient être intéressés par nos activités. Il était nécessaire de nous engager dans une nouvelle direction. Nous avons eu l’occasion d’assister à la première exposition dédiée à Internet: Internet World Exhibition à Boston. La salle était comble, des représentants d’Amazon et Yahoo affichaient leurs ambitions. Cette journée a été un vrai révélateur. Plus tard nous avons créé le site Swissquote.ch.

Quel était l’objectif initial de votre plateforme?

Bien avant la création de Swissquote.ch nous voulions créer un réseau de distribution d’informations financières. Seul bémol: nous ne possédions pas de données en propre. C’est pourquoi nous avons débuté avec une collaboration avec l’entreprise Telekurs, qui fait aujourd’hui partie de Six Group. Satisfaite, la direction de notre partenaire nous a proposé de travailler sur un projet de logiciel financier. Mais après des mois d’efforts, le projet a fini par être enterré. Cet épisode malheureux nous a forcés à repenser notre modèle d’affaires. Nous devions devenir un fournisseur d’informations, et plus seulement un transmetteur. Aussi nous voulions démocratiser la finance, rendre l’information boursière accessible à tous et de manière simple et innovante.

En parallèle de la mésaventure avec Telekurs, les bourses suisses ont vécu leur «big bang». Fonctionnant encore à la criée, elles ont été remplacées par un système de négoce entièrement électronique en 1996. Il n’était donc plus nécessaire d’avoir une personne présente sur place pour obtenir les informations, un simple raccordement au système était suffisant.

Quand et pourquoi a été prise la décision de transformer Swissquote en banque?

La transformation s’est opérée naturellement. Dès la mise en opération du site, nous avons connu un important afflux de clients. Au milieu des années 1990, il fallait encore consulter les journaux pour connaître les prix des transactions et l’état des actions. Sur notre site, les clients prenaient connaissance de l’évolution des titres pratiquement en temps réel. L’importante couverture médiatique que nous avons reçue et les nombreuses requêtes des clients nous ont poussés à améliorer nos infrastructures informatiques. Rapidement, les clients demandaient aussi une amélioration des services comme un système d’achat et de vente direct. Mais, pour offrir ce service, il fallait une licence bancaire.

Est-ce que l’obtention de ce précieux sésame a été un challenge?

En 1999, la Commission fédérale des banques (devenue depuis la Finma, ndlr) exigeait des fonds propres à hauteur de 10 millions de francs pour créer un établissement bancaire, dont nous ne disposions pas. Nous avons alors collaboré avec la banque privée zurichoise Rüd, Blass & Cie, qui a officié comme dépositaire. Mais ce partenariat avec une banque privée de taille plutôt modeste freinait notre développement. Seule solution: réaliser une introduction en bourse pour obtenir les fonds nécessaires. Avec l’aide de l’établissement Julius Bär, nous avons levé environ 70 millions de francs suite à notre entrée en bourse en mai 2000.

Comment votre démarche a-t-elle été perçue à l’époque? Avez-vous senti une forme de condescendance de la part du milieu bancaire?

La Commission fédérale des banques nous a bien accueillis. Les autorités nous ont fourni tous les documents nécessaires à l’obtention d’une licence bancaire. Nous nous sommes alors entourés de spécialistes et avons rempli toutes les obligations pour obtenir une licence. En effet, la communauté bancaire s’est montrée très réservée à notre égard. Nous avons eu du mal à être accepté.

Quel impact l’éclatement de la bulle d’Internet survenu en 2000 a-t-il eu sur votre développement?

Le krach boursier a provoqué une forte chute de notre valeur boursière et les clients ont diminué les transactions menées sur notre plateforme. Nous avons aussi dû mettre un frein à nos ambitions d’expansion en Europe, notamment en France et en Allemagne.

Crise des subprimes, suppression du taux plancher, fin du secret bancaire… Les crises qui ont agité le monde financier se sont succédées depuis la naissance de Swissquote. Qu’est-ce qui vous a permis d’y faire face?

Avant l’explosion de la bulle Internet, toutes les banques avaient des projets de créer des banques en ligne. Mais la crise a tout bouleversé: Credit Suisse a abandonné sa plateforme Youtrade, Vontobel a échoué avec son projet Y-O-U et Rentenanstalt/Swiss Life ont mis un terme à leur portail Redsafe. Ces arrêts nous ont été bénéfiques car nous avons pu absorber leur clientèle, consolider notre position et dégager une rentabilité pour la première fois en 2003 Evidemment les crises de 2008 et de la fin du taux plancher nous ont causé des soucis. Mais depuis 2003 nous avons toujours dégagé un bénéfice important année après année.

Ces dernières décennies, on a observé en Suisse la disparition d’une centaine d’établissements bancaires et la suppression d’environ 8000 emplois dans l’ensemble du secteur. Une tendance qui va se poursuivre?

L’abandon du secret bancaire a causé un cataclysme, notamment au sein des petites structures qui calquaient leur modèle d’affaires sur cette particularité suisse. Une fois cette dernière supprimée, les petits instituts n’avaient pas les encours suffisants, ou assez de clients pour survivre. En parallèle, les marges se sont érodées au niveau mondial. Et la fin du secret bancaire a pratiquement divisé les marges par trois! La concurrence entre les établissements s’est exacerbée et la régulation est toujours plus forte. Ce contexte va se poursuivre encore plusieurs années. A titre de comparaison, plusieurs experts estiment qu’environ un tiers des banques américaines existantes va fermer. La tendance va s’amplifier avec l’arrivée des nouveaux acteurs technologiques.

Précisément, les projets fintech se multiplient, par exemple les applications mobiles bancaires suisses comme Zak ou Neon… Comment analysez-vous le potentiel de start-ups dans un domaine qui demande des reins solides? Est-il possible de s’en sortir sans partenaires d’envergure?

Il est possible de s’en sortir sans partenaire d’envergure, mais il faut analyser les activités de ces fintechs. Par exemple, la banque en ligne allemande N26, valorisée aujourd’hui à près de 2 milliards de dollars, évolue sur le service étroit du paiement. Leur offre est efficace et meilleur marché que les concurrents. Mais ce segment connaît déjà des marges particulièrement maigres. Ils ne pourront pas baisser les coûts éternellement. Et cela s’observe dans leur rentabilité: toutes les néo-banques sont déficitaires. A un moment donné, elles vont être obligées de diversifier leur modèle d’affaires. Il sera intéressant de voir à l’avenir la direction prise par ces néo-banques pour dégager des profits.

Quelle est votre position sur les nouvelles technologies comme les cryptomonnaies ou la blockchain?

La ligne directrice au sein de Swissquote consiste à adopter toutes les nouvelles technologies émergentes prometteuses. Comme il est difficile de faire un pari sur celles qui vont réussir, nous préférons investir dans toutes les technologies afin d’avoir la certitude de viser juste à un moment donné. Nous avons poursuivi toute les options possibles, que ce soit le Wap (l’ancêtre du Web sur mobile) ou le développement d’applications pour les téléphones Nokia (aujourd’hui disparus). Nous avons toujours voulu figurer parmi les pionniers, et cela s’observe aussi dans les transactions via les cryptomonnaies. Nous avons des idées et des projets sur la blockchain. Il y a une évolution et il faut l’accompagner. L’histoire montre qu’il reste difficile de présager de la réussite, ou de l’échec, d’une nouvelle technologie.

Vous misez aujourd’hui sur le robo-advisory. Avec quels résultats? Quelle part de vos clients l’utilise?

Les robots alimentent de longue date l’imaginaire des hommes. Au sein de Swissquote, nous avons démarré le tout premier projet lié au robo-advisory en 2010. Certains clients se sentaient esclaves de leur passion, en suivant quotidiennement l’évolution de leur portefeuille, y compris en vacances. Ils nous alors ont soufflé l’idée d’un service automatisé gérant les portefeuilles. Le projet a pris de l’ampleur avec le développement d’une solution informatisée totalement intégrée au portefeuille. Aujourd’hui, environ 250 millions de francs sont gérés par des robo-advisory. Nous avions tablé sur un fonds d’un milliard en 2020. Nous voyons donc que cette offre connaît un engouement prudent.

Les robots peuvent-ils à terme remplacer le conseiller bancaire traditionnel?

Absolument, car les robo-advisory sont des stakhanovistes. Un être humain ne pourra jamais comparer ou analyser en profondeur un secteur précis ou un portefeuille en particulier. Les robots possèdent cette capacité de travail en continu avec des résultats souvent plus probants que les meilleurs gestionnaires humains. Nous avons d’ailleurs créé un fonds de placement totalement géré par les robots qui se trouve régulièrement parmi les dix meilleurs gestionnaires de fortune en Suisse. Il a même figuré à la première place du classement des meilleurs fonds suisse avec une performance sur 3 ans. Par contre, les robots ne possèdent pas le flair de certains gestionnaires humains. Cette intuition reste difficilement réplicable.

A quoi ressemblera le secteur financier dans le futur?

Les services d’assistance des avoirs bancaires ou d’un portefeuille titrisé via des applications pour téléphones portables vont encore se développer. Je pense que nous aurons tous un conseiller financier sous forme d’avatar qui connaîtra tous nos besoins, qui pourra planifier nos finances et nos dépenses. Nous observons une tendance en ce sens déjà très forte aujourd’hui et je pense qu’elle va encore s’amplifier ces prochaines années.