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Sens et contre-sens

Déboulonner les statues, barbouiller les murs, applaudir Greta Thunberg. Au risque de violenter l’histoire et le savoir?

Chacun ses vandales. Des Algériens de France, comme on disait autrefois des Français d’Algérie, s’en sont pris, entre autres cibles et dans la foulée d’une euphorie sportive, à une statue du général de Gaulle, proprement, ou plutôt salement, déboulonnée. Chez nous, c’est dans l’euphorie d’un lendemain de Gay Pride à Genève, que des activistes ont assaisonné d’un barbouillage multicolore le Mur des Réformateurs.

Acte que d’ailleurs les principales association LGBT n’ont pas cautionné, le qualifiant même de «vandalisme contreproductif», ce qui est assez précisément et justement décrit. Dans ces deux incidents, n’empêche, on peut soupçonner que le passage à l’acte a été facilité par une méconnaissance crasse – et donc un mépris buté – de l’histoire.

S’agissant du premier cas, il est difficile de nier que l’indépendance algérienne doive beaucoup au général de Gaulle qui l’imposa contre l’avis de la majorité de la population et des élites. Au point de le payer de quelques attentats contre sa personne, fomentés par des Français d’Algérie, à travers la sinistre OAS. Le contre-sens est donc manifeste, surtout qu’en France il n’y a plus guère que le vieux Le Pen et quelques comparses tout aussi cacochymes pour continuer de considérer de Gaulle comme un traître. Sans parler de la politique pro-arabe constante que mena le régime gaulliste.

L’attaque des activistes arc-en-ciel contre la fine équipe des grands réformateurs ne parait pas plus intelligente. Elle est en tout cas tout aussi mal informée. Si l’on en croit du moins la chercheuse de la Faculté de théologie de l’Université de Genève que cite le quotidien Le Temps et qui parle à propos du mur de «grand quiproquo». En rappelant qu’inauguré en 1917, il avait été conçu comme le symbole d’une «mémoire protestante progressiste». Mieux, il visait alors à «inscrire le protestantisme genevois dans un réseau international porté par les Lumières et soutenir tant la liberté religieuse dans le monde que la Genève laïque du XXe siècle».

Mais s’en prendre aux vieilles statues, maculer les icônes vénérables est évidemment plus commode et moins risqué que s’attaquer directement aux malfaisants et puissants du jour, faits de chair et de sang, et qui sont, eux, en mesure de répondre.

Cette même inculture parait aussi, à l’inverse, encourager une propension à ériger de nouvelles statues, mais du vivant même des statufiés. Le mouvement semble s’accélérer. On statufie désormais, déjà, des enfants. Ou en tout cas une: Greta Thunberg. L’adolescente sera à Lausanne début août pour un sommet international sur l’environnement, organisé par le mouvement FridaysForFuture qui préconise la grève de l’école tous les vendredis pour protester contre le réchauffement climatique.

Avec ce boycott de l’école, donc du savoir, on pourrait penser, un brin sourcilleux, que la boucle est bouclée, que l’ignorance à la manœuvre est en train d’accoucher de son chef- d’oeuvre. C’est un pas que franchit le philosophe Michel Onfray, qui se livre sur son blog à une charge au vitriol contre «Greta la Science». Il lui reproche, entre autres, d’entraîner une génération qui «offre en sacrifice expiatoire la culture qu’elle n’a pas, mais qu’elle pourrait avoir – si d’aventure elle allait à l’école».

Et d’ironiser lourdement: «En effet, pourquoi apprendre des choses à l’école quand on sait déjà tout sur tout?» Car Greta Thunberg parle, constate Onfray, «au nom de LA science». Sauf que cette science-là se révélerait d’une sinistre pauvreté, réduite «au compendium de passages à réciter, après prélèvement des phrases stabilossées dans les rapports du GIEC».

Le résultat ne serait pas vraiment beau à voir: «On ne pense plus, on récite, on n’examine plus, on assène, on ne réfléchit plus, on psalmodie, on ne débat plus, on insulte, on excommunie, on anathématise. On ventile…»

Voilà, diront les sceptiques, encore un effet pervers à mettre sur le compte du réchauffement: transformer, à forcer de taper sur les crânes, même les philosophes respectés en vils tontons flingueurs.