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21. Où se confirment les préjugés de Max sur le coup de foudre

Vingt-et-unième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.

Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le jeune Japonais Tsutsui monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. Ce fils putatif de Max construit dans la nuit un mystérieux bonhomme de neige. D’autre part, le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités dans les neiges nocturnes.

Et pendant ce temps-là, Max, conférencier invité, se retrouve au lit avec la belle Frénésie, directrice de l’hôtel. Lire ici le début du récit.

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Chapitre 21.

Des jeux de frères et soeurs. Frénésie immobilise Max les bras en croix, il la laisse faire, elle dit:

– Alors Monsieur le conférencier n’aime que le présent. Monsieur n’aime pas parler du passé ou de l’avenir. En somme, Monsieur est un post-moderne qui s’ignore.

Et moi, Monsieur, s’il me plaît de vous revoir, si j’ai besoin de vous dire à demain, si je te parle du futur, tu n’es déjà plus d’accord? C’est toi qui nie l’histoire, ce n’est pas moi. La scène de tout à l’heure dans l’ascenseur, c’est déjà fini. Moi je vois ça comme du passé. Tu t’en fiches déjà?

Max confirme, il est bien ainsi. Par exemple, il ne va pas demander à Frénésie qui était la Japonaise en fauteuil roulant nommée Tsutsui. Puisqu’elle est morte il y a trois ans. Ça ne sert à rien de remuer le passé.

Max aime au présent le noir des joues de Frénésie, le noir de ses épaules où la lampe de chevet construit un reflet bleuté, le rapport entre le noir des cheveux et le noir des seins avec le rouge de la pointe, le noir des poils sur des cuisses sombres, le gris de l’usure des genoux, le brun des doigts de pied où se détache l’orange des ongles. Et la pâleur des paumes.

Elle a raison, Max se réfugie dans le présent, c’est un peu court, jeune homme, mais c’est une belle perspective ce bras replié sur le bleu de la couette, ces dents lumineuses qui lui sourient, ces cils qui battent l’instant comme un cœur d’écolier au rendez-vous de son premier amour.

Le mystère d’une femme qui s’est réservée à un inconnu, rencontré après tant d’autres qui lui ont fait la cour. Pendant quatre ans et demi. Pourquoi Max? Qu’elle est belle, Frénésie, quand elle insiste:

– Tu ne réponds pas, Max. Pourtant, c’est sérieux ce que je voudrais savoir de toi. De moi tu peux tout savoir. De toi, tu ne livres rien.

Max rit bêtement, mais c’est de bonheur, de cet élan qui le porte vers elle sans raison. Si elle veut savoir quelque chose de lui, il attend des questions précises, car il n’a presque rien à lui cacher. Alors, elles viennent, ces questions?

– Je voudrais savoir, dis-moi, tu crois au coup de foudre?

Que connaît-il de l’amour, Max? Il se souvient d’un francophone disant: de la politique, je ne connais que l’émeute. Ce Flaubert avait la réponse facile. La réponse de Max, ce serait: de l’amour, oui, je ne connais que le coup de foudre.

Il aime ça comme les manifestations violentes, les bouteilles de bière remplies d’essence qu’il fallait tenir le bras tendu pour ne pas enflammer ses habits. C’est comme ça, l’amour, une flamme qu’il faut manier le bras tendu, un cocktail molotov.

Voilà ce qu’il leur dira demain. De 1968, il ne reste qu’une chose, mais personne ne pourra la reprendre. Toute une génération a inventé de nouvelles règles à l’amour. Pas une seule règle, mais des milliers. C’est pourquoi la pensée unique n’a pas de prise sur sa génération. Elle n’a prise que sur les post-modernes qui ont aujourd’hui quarante ans.

Avec la toute nouvelle génération, la pensée unique est aux abois. Et c’est tant mieux.

(A suivre)

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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le vingt-deuxième épisode.

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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.