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Ils ne vont pas nous laisser en paix en 2002

Bush, ben Laden, Sharon et Arafat, le quarteron qui depuis des mois nous coupe l’appétit au journal du soir et emplit nos nuits cauchemardesques, ne nous laissera pas en paix, hélas! l’an prochain. Au moment du bilan annuel, juste quand on aimerait pouvoir dire «Ouf! c’est derrière, tournons la page, vite!», chacun se rend compte de la vanité de l’espoir.

Non, ils ne vont pas nous laisser tranquilles. Non, ils ne vont pas nous lâcher les basques. Oui, il est permis de croire que 2002 sera encore plus sinistre que 2001. Avec ces gens-là, chers lecteurs, l’année à venir ne s’annonce pas rose du tout.

Souvenez-vous! Il y a une année exactement, on ne connaissait pas encore le nom du remplaçant de Clinton et Sharon n’était pas encore premier ministre d’Israël.

Aujourd’hui, avec le recul, il est permis de se demander si la vraie date historique de l’année n’est pas celle du 6 janvier 2001 qui vit la désignation de Bush à la présidence des Etats-Unis, suite à un processus paradémocratique qui apparaît de plus en plus comme une sorte de hold-up politique ou de coup d’Etat rampant. Les conditions dans lesquelles Bush a gagné ne sont toujours pas claires. Les tripatouillages floridiens, dans un Etat gouverné par son propre frère, ne sont pas élucidés.

Une chose est certaine: au suffrage universel, avec une avance d’un demi-million de voix, c’est Gore qui a gagné. Bush n’a trouvé une légitimité qu’au lendemain des attentats du 11 septembre, attentats attribués comme on le sait au génie malfaisant d’un ancien agent de la CIA, de surcroît rejeton d’une grande famille saoudienne pilier d’un régime qui doit son existence et sa fortune au lobby pétrolier américain dont l’actuel homme fort est… George W. Bush.

Cette hypothèse dite du complot se fraie lentement un chemin dans les consciences. Même le sinistre machiavélisme qu’elle suppose peut s’appuyer sur des précédents dans l’histoire américaine récente comme l’assassinat de J. F. Kennedy ou le fameux incident du golfe du Tonkin, monté de toutes pièces par l’administration Johnson pour déclencher la vraie guerre du Vietnam. L’industrie de l’armement avait alors comme aujourd’hui quelques expériences à faire et quelques surplus à éliminer.

Quoi qu’il en soit nous n’aurons pas avant des années les moyens de nous forger une opinion valable sur l’annus terribilis que nous venons de vivre. Reste la réalité quotidienne. Cette réalité là est celle de la guerre, car il ne fait aucun doute que le groupe dirigeant américain est décidé à maintenir la planète sous une forte pression guerrière.

Le seul paradoxe tient à ce que, faute de pouvoir se mesurer à un Etat nation (les candidats à la contradiction s’étant dissous dans la globalisation comme une montagne de sel dans l’océan), les valeureux porteurs de décoration du Pentagone sont contraints d’écrabouiller les cancrelats du terrorisme, punaises de mosquée ou cafards du désert.

Pour le dire avec la dose de cynisme qui sied à de tels actes, notons qu’il vaut mieux pour l’humanité que les bombes américaines labourent les flancs décharnés des montagnes de Tora Bora que les plaines surpeuplées du Tonkin ou de Cochinchine. Ne serait-ce qu’en cela, le progrès réalisé en trente ou quarante ans est notable. Et, qui sait? dans un avenir peut-être assez proche, le Pentagone aura-t-il repéré le vrai, le seul ennemi de l’empire du Bien sur la calotte glacière arctique qu’il fera fondre par vagues successives de B52…

Dans tous les cas, le fait de choisir comme ennemi des collectivités incertaines aux Etats non formés comme l’Afghanistan et, demain peut-être, la Somalie ou le Soudan a l’immense avantage de ne faire courir que peu de risques à la puissance américaine dont le feu roulant masque avant tout la faiblesse, l’incompétence et la sclérose de ses nombreuses polices, des polices incapables de lutter contre le terrorisme et d’en saisir les causes profondes. Mais il est vrai que contrairement au complexe militaro-industriel, la gent policière n’intervient que peu sur le processus de production et les cours de la bourse.

En attendant, au nom d’une illusoire sécurité, les libertés publiques se restreignent un peu partout. La vitesse aussi. Plus question de sauter dans un avion ou de le prendre au vol! Il est étonnant de voir ces files de passagers déchaussés se laisser palper en long et en large devant des guichets d’aéroports bourrés de technologie. A ce rythme, d’ici Pâques, il ne sera plus possible de prendre un avion sans subir de préalables touchers rectaux…

L’ironie est l’arme des faibles. Et c’est bien la faiblesse du citoyen qui me paraît marquer le passage à l’an 2002. Comment ne pas se sentir désarmé dans ce monde surarmé? Je ne pense pas que la démocratie en général soit en recul (il y a de moins en moins de dictatures, même la Chine s’entrouvre) mais les centres de décision recomposés par la mondialisation échappent pour l’essentiel à notre intelligence. Qui commande? D’où?

Ces questions restent sans réponse alors que la loi du marché et la recherche du profit nous contraignent à vivre dans le stress, l’incertitude et, trop souvent, l’angoisse.