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«Un lien étroit associe culture et économie»

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans tadalafil proper dosage.

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Plus de 10 millions de visiteurs se sont rendus à la Fondation Pierre Gianadda depuis son inauguration en Valais en 1978, attirés par le prêt de chefs-d’œuvre comme le tableau de Claude Monet «Impression, soleil levant» ou la statue antique «Discobole». Pour son créateur et fondateur de 83 ans, Léonard Gianadda, le succès de l‘institution a ouvert la voie à une diversification de l’offre culturelle régionale, avec l’émergence de nouvelles fondations et festivals.

En 1989, dans un des premiers numéros de PME Magazine, vous définissiez la Fondation Pierre Gianadda comme «un anti-musée». La qualifieriez-vous toujours ainsi alors qu’elle est désormais un lieu culturel incontournable de Suisse et que son jardin de sculptures est reconnu comme l’un des plus beaux d’Europe?

Si je qualifiais la Fondation d’«anti-musée», c’est par opposition à l’idée qu’à l’époque on se faisait d’un musée: un lieu clos et austère, voué à la conservation et présentant une collection permanente réservée aux initiés, bref un lieu que l’on ne visite qu’une fois dans sa vie. Cette image a sans doute évolué au cours des quatre décennies écoulées depuis la création de la Fondation. Je voulais un espace vivant, ouvert. J’ai constaté que ce sont souvent les mêmes visiteurs qui reviennent, attirés par de nouvelles expositions, de nouveaux concerts, en un mot par des événements qu’il faut sans cesse inventer. L’espace a été enrichi d’un parc de sculptures et a même débordé dans la ville de Martigny, dont les dix-sept ronds-points sont agrémentés d’une sculpture adéquate. Ainsi, le public n’est pas confiné dans un espace dédié à l’art, il se meut dans un espace sans limite. Dans cet esprit, le terme d’«anti-musée» semble toujours d’actualité.

Au lancement de la Fondation en 1978, ambitionniez-vous déjà de faire de Martigny un lieu connu des galeristes, directeurs de musée et mélomanes de toute l’Europe? Aviez-vous anticipé ce rayonnement international?

Je n’imaginais certainement pas un tel rayonnement et je n’aurais même pas osé y songer. Alors comment aurais-je pu espérer obtenir le prêt d’œuvres aussi prestigieuses qu’«Impression, soleil levant» ou le «Discobole» de la part des musées les plus réputés au monde? Comment aurais-je pu imaginer que des artistes comme Cecilia Bartoli puissent chanter dans nos murs… à vingt-huit reprises! L’ambition s’est forgée au fil du temps, grâce au succès. Plus la Fondation était connue, plus elle pouvait espérer obtenir des œuvres majeures et plus elle pouvait disposer de moyens nécessaires à leur présentation, comme les frais de transport ou d’assurances par exemple. Ce phénomène n’a pas été spontané. La confiance ne se décrète pas. Elle se conquiert. Cela prend du temps et exige à la fois prudence et prise de risques mesurés, mais également beaucoup de chance, je le reconnais.

Plus de 10 millions de personnes ont visité la Fondation depuis son ouverture en 1978. En quoi a-t-elle marqué l’offre touristique et culturelle valaisanne depuis cette époque?

Le boom de l’offre touristique en Valais a démarré dans les années 1960 et n’a cessé de croître. L’offre culturelle, tout comme l’offre touristique d’ailleurs, a été alimentée grâce au progrès social: la civilisation des loisirs, les congés payés, une meilleure formation pour tous et une prospérité générale accrue. Tous ces facteurs sont apparus à cette époque. L’offre culturelle est étroitement liée au développement économique et réciproquement. Les visiteurs de la Fondation stimulent le commerce local, la restauration, l’hôtellerie. Les ressources culturelles ne sont pas dépendantes des changements climatiques comme l’industrie du ski qui a assuré la prospérité des stations jusqu’à ce jour. Le succès de la Fondation a incité une diversification de l’offre, avec l’émergence de nouvelles fondations, de festivals. Le Gouvernement valaisan l’a très bien compris en créant, l’an dernier, un prix «Culture et économie» dont nous avons été les premiers bénéficiaires à l’occasion des quarante ans de la Fondation: une reconnaissance du lien étroit qui associe culture et économie.

Quels sont les changements les plus profonds qu’a connus l’offre culturelle et touristique en Valais depuis 1989 selon vous? Ses plus grands défis?

Les techniques ont évolué. Martigny n’est plus qu’à quelques heures de Paris, voire de New-York, ce qui augmente fortement la mobilité de notre public. Le Valais s’est désenclavé. Le progrès technique permet aux fans de ski d’exercer leur sport grâce à l’enneigement artificiel indépendant de la météo. Plus prospère aujourd’hui, le canton peut investir dans des infrastructures impensables auparavant. Les moyens d’information ont aussi changé: nous étions les premiers à diffuser notre publicité culturelle sur les ondes radiophoniques, puis par des spots télévisés ou sur Internet. Cependant le plus grand défi pour une institution comme la nôtre est de tenir sur la durée (41 ans!), de renouveler et de diversifier inlassablement l’offre en soignant l’accueil de nos visiteurs. Ceux-ci ont vieilli, bien sûr, mais ils sont en meilleure forme que ne l’étaient leurs aînés. Ils nous restent très fidèles… et se renouvellent régulièrement!

Vous avez bâti comme mécène et comme entrepreneur privé dans toute la région de Martigny. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire? L’envie de laisser votre marque?

J’ai construit quelque 1’500 appartements à Martigny au cours de toutes ces années. D’abord parce que c’était mon métier, un héritage génétique qui a vu s’y consacrer mon grand-père d’abord, mon père ensuite. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la conduite d’un bureau entre autres consacré à l’immobilier exige sensiblement les mêmes compétences entrepreneuriales que la gestion d’un centre culturel comme la Fondation. Certains considèrent sans doute la comparaison un peu triviale. Ils préfèrent imaginer l’art comme totalement déconnecté de toute contingence commerciale. Il est vrai que l’esthétique n’est pas forcément liée à la valeur marchande. Pourtant, dans mes deux fonctions, l’objectif est semblable: satisfaire et faire plaisir, répondre au mieux aux besoins des visiteurs, veiller à leur confort en ayant recours aux meilleurs spécialistes, parce que seuls on ne sait pas tout faire. Cela dit, l’immobilier m’a aussi permis d’acheter des œuvres d’art, de constituer une collection.

Malgré ces réalisations, que manque-t-il encore au paysage touristique et culturel valaisan à votre avis?

Le tourisme a besoin de la nature qui doit être mieux préservée car c’est une denrée périssable. Dans ce domaine, il y a encore beaucoup à faire, notamment en contrôlant mieux les zones réservées à l’habitat et celles dont le paysage doit être protégé. En 1978, nous avons inauguré à la Fondation le premier musée archéologique du canton. Il a la particularité de présenter des pièces provenant exclusivement de Martigny, où elles sont exposées aujourd’hui. Quarante ans après, le Grand Conseil valaisan vient d’approuver le principe de la création d’un espace consacré aux collections cantonales qui se sont enrichies au cours des siècles passés. Il était temps. J’espère que l’Etat optera pour des institutions décentralisées, dans le respect des découvertes originelles, plutôt que pour un musée unique au sein de la capitale.

Si on se risque à faire des projections: à quoi ressemblera le tourisme de la région dans 30 ans? Que viendront chercher les Suisses et les étrangers en visite dans le canton et à Martigny?

Des projections sont difficiles, voire impossibles à établir. Notre tourisme, encore fortement axé sur les sports d’hiver, va souffrir du réchauffement climatique. Il est donc urgent d’anticiper ce phénomène en diversifiant toujours davantage l’offre si l’on veut maintenir l’attrait de nos régions. La culture peut y contribuer. Mais il est encore plus difficile d’imaginer quels seront les intérêts et les goûts des amateurs d’art à moyen et à long terme, et par conséquent d’anticiper les révolutions à venir. Nos enfants devront être attentifs aux changements pour mieux s’y adapter. On voit peu à peu fondre les glaciers… et l’impact de la presse écrite au profit de l’information virtuelle. Dans le domaine artistique, les productions évoluent tout aussi rapidement. Reste l’aspiration des individus à ce qui est beau et qui nous dépasse. Et elle, j’en suis certain, va demeurer.